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Les chaînes de production agricole nigérianes enrayées à cause du confinement


Des paysans passent devant des champs dans la communauté de Jere, à 11 kilomètres de Maiduguri, dans l'État de Borno, au nord-est du Nigéria, le 6 avril 2017. / AFP PHOTO / PIUS UTOMI EKPEI
Des paysans passent devant des champs dans la communauté de Jere, à 11 kilomètres de Maiduguri, dans l'État de Borno, au nord-est du Nigéria, le 6 avril 2017. / AFP PHOTO / PIUS UTOMI EKPEI

Dans le petit marché d'Obalende, dans la mégalopole économique de Lagos, les quelques vendeurs et les acheteurs disséminés entre les ruelles terreuses tentent, tant bien que mal, de s'adapter aux directives de confinement et souffrent déjà des perturbations des chaînes de productions agricoles.

Les prix fluctuent d'un jour à l'autre. A l'annonce d'un confinement total lundi dernier, le prix du riz, du manioc, des conserves de tomates ont explosé. Ces produits sont plus facilement "stockables" dans des foyers pauvres où l'électricité est rare.

Les prix se sont légèrement stabilisés mais restent beaucoup trop élevés pour la majorité de la population, qui vit sous le seuil de pauvreté.

"Un sac de semoule, avant je le vendais 2.800 nairas (6,70 euros) maintenant c'est 3.500 nairas (8,40 euros)", se lamente une vendeuse du marché. "C'est trop cher pour les clients, ils n'achètent pas".

D'autres produits eux, se vendent en dessous du prix d'achat aux fournisseurs. Mais même à prix bradés, ils ne trouvent pas preneurs.

L'Etat de Lagos a mis en place une nouvelle régulation qui impose d'ouvrir les échoppes des marchés uniquement un jour sur deux, entre 10h et 14h. "C'est très douloureux. Regardez mes bananes plantain, elles sont en train de toutes pourrir dans la chaleur".

"Madame Victor" tente de sauver une dizaine de kilos de tomates déjà bien abîmées en les conservant dans l'eau. Mais, sous 35 degrés et une humidité crasse, les mouches commencent déjà à roder et la pourriture à faire son travail.

"Il faut acheter du poisson séché, ça se garde pendant des semaines", lance Madame Victor, une soixantaine d'années, dont la plupart passées dans ce petit marché de Lagos.

- "Les poissons se mangent entre eux" -

"Mais même le poisson, il est pêché dans la rivière loin d'ici, c'est difficile de s'en procurer à cause des restrictions de transport. On a du augmenter les prix aussi de 250 à 300 nairas".

Un comble pour Wale Oni, pisciculteur dans l'Etat voisin d'Ogun, qui vit également sous confinement.

"A cause des restrictions de transport, il est difficile de s'occuper de nos poissons, et on les nourrit de manière irrégulière", explique à l'AFP le directeur de City of Refuge Farms Limited. "D'autre part, il est difficile aussi pour nos clients de venir chercher leur commande, les stocks augmentent".

Autre conséquence des problèmes d'acheminement de la marchandise: les poissons de M. Oni ont faim, sont trop nombreux et "se mangent entre eux".

Selon les autorités, près de 600 véhicules ont été saisis dans le seul Etat de Lagos et 80 personnes ont été verbalisées pour avoir violé les règles de confinement et de restriction de mouvement.

En théorie, les denrées essentielles (nourriture, eau, essence) peuvent circuler librement, malgré les restrictions de mouvement.

Mais dans un pays gangréné par la corruption, les transporteurs se plaignent de devoir payer des pots-de-vin à chaque barrage de police, faisant exploser les prix des livraisons.

- Port congestionné -

D'autres produits, pourtant nécessaires à la production agricole, ne peuvent accéder aux fermes. "Certains de nos membres ont été arrêtés pendant leur livraison", se plaint Kabiru Fara, un responsable d'une association de fournisseurs d'engrais.

Les problèmes d'importation sont également très inquiétants à l'échelle du pays, et notamment avec les ralentissements au port de Lagos, qui souffre déjà en temps normal de congestion.

"Les banques sont fermées, et même s'il est possible en théorie de payer les frais de douanes sur internet, tous les importateurs ne peuvent pas le faire", confie un important transporteur privé qui travaille dans le port de Lagos.

"Environ la moitié du volume des cargos n'arrivent pas. Et en plus, comme tous les containers ne peuvent pas être redistribués dans le pays, ça crée encore plus de congestion", explique-t-il sous couvert de l'anonymat.

Le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent africain, souffre également de la chute historique du prix du baril à moins de 20 dollars: le naira souffre par rapport au dollar et la dévaluation aggrave l'inflation dans un pays qui dépend beaucoup de ses importations de biens manufacturés.

Dans un rapport publié en début de semaine, les économistes de SBM Intelligence annoncent que les "consommateurs (nigérians) doivent se préparer à une plus forte augmentation des prix", qui, comme ils le rappellent, avaient déjà fortement augmenté depuis la récession de 2016.

Sur le long terme, "cela pourrait avoir de lourdes conséquences sur la santé économique du pays" conclut le rapport.

Mais après seulement une semaine de confinement, dans chaque rue, chaque quartier de Lagos, on entend la même litanie: "On a faim".

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