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Des rescapés du génocide au Rwanda redoutent un non-lieu pour l'armée française


Le ministre délégué à la Santé, Philippe Douste-Blazy est entouré du général Jean-Claude Lafourcade, chef de l'opération Turquoise au Rwanda et Zaïre, et de l'envoyé spécial du Gouvernement Yannick Gérard, le 23 juillet 1994 à son arrivée au Rwanda.
Le ministre délégué à la Santé, Philippe Douste-Blazy est entouré du général Jean-Claude Lafourcade, chef de l'opération Turquoise au Rwanda et Zaïre, et de l'envoyé spécial du Gouvernement Yannick Gérard, le 23 juillet 1994 à son arrivée au Rwanda.

Vingt-trois ans après le génocide au Rwanda, la justice française refuse de faire entendre les anciens plus hauts responsables militaires français dans l'enquête sur de possibles responsabilités de l'armée en marge du massacre de Bisesero en juin 1994, une décision qui rompt, selon les parties civiles, l'espoir d'un procès.

Dans sa décision du 31 octobre, la cour d'appel de Paris, confirmant un précédent refus du juge, n'a pas estimé nécessaire d'auditionner l'amiral Jacques Lanxade, l'ancien chef d'état-major des armées, et son adjoint de l'époque, le général Raymond Germanos, comme le réclamaient l'association Survie, la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH et LDH) et les autres parties civiles.

Depuis 2005, elles accusent la force militaire française Turquoise d'avoir sciemment abandonné des centaines de Tutsi des collines de Bisesero (ouest), du 27 au 30 juin 1994 aux génocidaires ralliés au pouvoir gouvernemental hutu, qui bénéficiait d'un soutien ancien de Paris.

Le génocide fera 800.000 morts selon l'ONU, très majoritairement des Tutsi.

"Ce refus de rechercher toutes les responsabilités éventuellement engagées, y compris celles des plus hauts responsables de l'armée française, compromet gravement l'enquête", ont indiqué jeudi les trois associations parties civiles, dans un communiqué. Avec à leurs yeux, une probable conséquence: "cette décision pourrait ouvrir la voie à un non-lieu judiciaire".

Cet acte "montre que si la justice enquête, elle le fait 'pour l'Histoire' et non dans la perspective de mises en examen et encore moins d'un procès", s'insurgent Fabrice Tarrit, coprésident de Survie, et leur avocat Olivier Foks, joints par l'AFP.

"Ce dossier n'a aucun élément factuel pour fonder ces accusations extrêmement graves et je ne vois pas d'autre issue qu'un non-lieu", a réagi auprès de l'AFP Me Emmanuel Bidanda, avocat d'un des officiers mis en cause dans le dossier, le général Jacques Rosier.

Les rescapés, à l'origine de la plainte en 2005, affirment que les militaires français leur ont promis le 27 juin 1994 de les secourir, pour ne le faire finalement que le 30. Pendant cet intervalle de trois jours, des centaines de Tutsi ont été massacrés dans les collines.

Depuis le 22 juin, la force Turquoise, déployée sous mandat de l'ONU, avait pour "premier objectif", selon les ordres du général Germanos, ancien sous-chef des opérations à l'état-major, de "mettre fin aux massacres", alors en cours depuis deux mois et demi, "éventuellement en utilisant la force".

"Compte tenu des éléments d'information dont nous disposions à l'époque, nous avons découvert la situation progressivement", a justifié l'amiral Jacques Lanxade, joint par l'AFP. "Nous n'avons rien à nous reprocher".

'Sous-estimation'

L'enquête, instruite au pôle crimes contre l'humanité à Paris, semble démontrer que la découverte des réfugiés le 27 était connue de la force Turquoise avant l'intervention militaire du 30, selon une source proche du dossier.

Mais selon cette source, le juge, qui a acté ce refus d'auditions fin août, a estimé que la question de savoir si le défaut d'intervention des militaires pendant ces trois jours constitue un acte de complicité de génocide "ne concerne que les officiers qui ont déjà été entendus", tous membres de la force Turquoise, car ils bénéficiaient, au vu de "la chaîne de commandement", de suffisamment d'autonomie vis-à-vis de l'état-major à Paris.

En janvier 2016, le chef de la force Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade, avait été placé sous le statut intermédiaire de témoin assisté, tout comme trois de ses subordonnés avant lui, échappant ainsi à des inculpations. Devant le juge, le général Lafourcade avait contesté avoir failli à Bisesero et mis en avant un contexte de "sous-estimation générale" de la situation à l'époque.

Depuis ces auditions, "l'enquête est quasiment au point mort", selon M. Tarrit. Les associations déplorent "que nombre d'auditions demandées en 2015 n'aient pas eu lieu et que des documents essentiels à la compréhension des événements n'aient pas été communiqués par le ministère de la Défense".

Les parties civiles ont ainsi réclamé, sans succès depuis deux ans, l'audition de François Léotard, alors ministre français de la Défense, et la confrontation des officiers déjà mis en cause.

Cette enquête, emblématique de la controverse sur le rôle de la France lors du génocide, a depuis un an son pendant au Rwanda: en novembre 2016, Kigali a lancé une procédure contre 22 officiers français accusés d'implication dans le génocide, dont l'amiral Lanxade et le général Lafourcade.

Avec AFP

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