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L'Irak ferme des camps de déplacés, dernier "refuge" pour des familles vulnérables


Des femmes et des enfants déplacés sont assis par terre dans un point de collecte pour personnes déplacées à l'ouest de Mossou, le 12 août 2017. (Photo AP / Balint Szlanko)
Des femmes et des enfants déplacés sont assis par terre dans un point de collecte pour personnes déplacées à l'ouest de Mossou, le 12 août 2017. (Photo AP / Balint Szlanko)

Il ne reste plus que bâches et tiges de métal battus par les vents: le vaste camp de déplacés irakiens installé depuis cinq ans dans l'ancien complexe touristique de Habbaniyah a été évacué cette semaine en moins de 48H...une précipitation qui inquiète les ONG.

Bagdad semble déterminé à évacuer tous ces villages de tentes qui ont vu le jour avec la percée du groupe jihadiste Etat islamique (EI) en 2014, mais de nombreux déplacés tout comme les ONG considèrent que les conditions d'un retour --un toit et la sécurité-- sont loin d'être garanties.

Dans un bus qui emmène les déplacés de Habbaniyah, dans l'ouest de l'Irak, Zainab, son mari et leurs six enfants ont dû laisser derrière eux la petite vie qu'ils s'étaient construite dans le camp pour rejoindre... un autre camp!

"On ne peut pas rentrer chez nous", dit-elle à l'AFP. Leur tribu --institution incontournable en Irak-- les accuse d'avoir soutenu l'EI. Injustement, assure-t-elle, mais cela lui fait redouter "la prison ou le massacre".

Ali, lui, va pouvoir retrouver sa ville d'al-Qaïm, à 250 km de là. Mais il va devoir débourser un loyer en attendant d'avoir les moyens de reconstruire sa maison.

Le responsable local du ministère des Déplacés, Moustafa Serhan, assure que "ces familles ne subissent ni retours forcés ni départs accélérés: les camps d'Anbar ont ouvert il y a cinq, six ou sept ans, de quelle précipitation parle-t-on?", martèle-t-il.

"Refuge disparu"

Saada, 36 ans et mère de sept enfants, sait déjà que dans quelques jours un bus viendra la chercher dans son camp de Hammam al-Alil, dans le Nord.

"D'abord, on nous a dit que le camp ne fermerait jamais, puis qu'il sera fermé en 2021 et ils nous disent maintenant... dans une semaine!", se lamente cette déplacée qui refuse de rentrer dans son village sur les monts Sinjar, où tout est encore en ruines.

"Je suis fatiguée de la vie", lâche-t-elle. "Ce camp, c'était notre refuge et ce refuge vient de disparaître."

En 2016, 3,2 millions d'Irakiens étaient déplacés. Trois ans après la victoire sur l'EI, ils sont aujourd'hui environ 1,3 million, dont 20% dans des camps et le reste dans des logements de location en grande majorité.

Si l'Irak annonce souvent vouloir fermer ses camps, le processus s'est soudainement accéléré en octobre.

Entre le 18 et le 30, cinq camps --dans les provinces de Bagdad, Kerbala et Diyala-- ont été fermés. Plus de la moitié des habitants n'ont toutefois pas pu rentrer chez eux, indique l'Organisation mondiale pour les migrations.

Entre le 5 et le 11 novembre, plus de 6.000 des 8.000 déplacés de Hammam al-Alil ont été poussés au départ, vers leurs maisons en ruine ou d'autres camps, selon des responsables.

"Ces fermetures précipitées risquent de faire plus de 100.000 sans-abris au début de l'hiver et en pleine pandémie de Covid-19", s'alarme le Conseil norvégien pour les réfugiés.

"Pression et intimidations"

"L'Irak s'est engagé à des retours viables, dans l'information et la dignité mais toutes ces conditions sont actuellement violées", accuse un humanitaire.

Déjà l'année dernière, des déplacés ont fait l'objet de menaces et d'attaques. Parmi eux, 60% ont dit être rentrés contre leur gré et 44% ont de nouveau été déplacés, selon une étude récente.

Les autorités, elles, plaident pour que ces retours, ordonnés par le Premier ministre Moustafa al-Kazimi selon un responsable gouvernemental, redirigent l'aide humanitaire et internationale des camps vers la reconstruction.

L'intention est louable, convient Belkis Wille de Human Rights Watch, "mais il ne faut pas pour ce faire forcer des gens à rentrer contre leur gré dans des régions où ils seront vulnérables".

Côté humanitaires, c'est l'embarras. Critiquer une décision gouvernementale, c'est s'exposer à des mesures de rétorsion: interdiction d'accès aux camps ou non délivrance de visas.

"La pression et les intimidations ont beaucoup augmenté", constate déjà le responsable d'une ONG, là aussi sous le couvert de l'anonymat.

Aux premières annonces de fermetures de camps, la patronne des affaires humanitaires de l'ONU en Irak, Irena Vojackova-Sollorano, a souligné dans un communiqué que ces mesures avaient été "prises indépendamment de l'ONU".

Après avoir accepté un entretien avec l'AFP, au fil des fermetures, son bureau a soudainement renoncé.

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