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Non-lieu pour des soldats français accusés de viols d'enfants en Centrafrique


Des soldats français de l'opération sangaris entre Bambari et Ippy, le 17 avril 2014.
Des soldats français de l'opération sangaris entre Bambari et Ippy, le 17 avril 2014.

La justice française a ordonné un non-lieu dans l'enquête sur les accusations de viols en Centrafrique portées par des enfants contre des soldats français en 2013-2014, faute d'avoir pu établir leur implication.

Révélées en 2015, les accusations avaient terni la réputation de l'armée française, déployée dans le pays dans le cadre de l'opération Sangaris pour restaurer la sécurité, après des mois de violences interconfessionnelles.

Conformément aux réquisitions du parquet de Paris, les juges ont rendu jeudi un non-lieu dans ce dossier clos sans aucune inculpation, a-t-on appris lundi de source judiciaire. Révélées en 2015, les accusations avaient terni la réputation de l'armée française déployée dans le pays sous égide de l'ONU pour restaurer la sécurité après des mois de violences interconfessionnelles.

>> Lire aussi : Déceptions à Bangui après l'absence d'inculpation de soldats français accusés de viol

Selon la justice française, les incohérences matérielles et la variation des témoignages n’ont pas permis d’établir des faits circonstanciés à l’encontre des militaires suspectés. Arguments qui font réagir Francis Mongombe, président de la jeunesse centrafricaine.

"Je me questionne comme tout Centrafricain : A quelles fins les présumées victimes ont-elles annoncé au monde entier qu’elles ont subi de tels méfaits ? Donc, je pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Aussi petite que soit cette fumée, nous voulons voir d’où elle vient. Etait-ce un acte de violence, une tentative, que sais-je encore… nous voulons savoir. Et moi, je vous dis encore que la précipitation du verdict nous laisse poser des questions ", affirme M. Mongombe.

Pour le moment, les organisations de défense des Droits de l'Homme et celles des victimes de la crise se réservent encore de commenter cette décision.

Cependant, Maitre Dénis Modomade, avocat au barreau de Centrafrique, s'est dit surpris. Il s'interroge sur le suivi du dossier par les autorités centrafricaines.

"Je ne sais pas comment le dossier a été suivi mais j’ai quand même été surpris de la décision de non-lieu par rapport aux éléments de l’opération Sangaris en Centrafrique qui avaient été mis en cause dans cette affaire. Je suis désolé quand même un peu de cela. Et, j’ai cru entendre que les ONG qui étaient en charge de ce dossier ont fait appel. C’est une très bonne chose. Ça voudrait dire que tout n’est pas fini et qu’on pourrait rattraper cela", affirme Me Modomade.

Dans ses réquisitions, le parquet soulignait qu'au terme de l'enquête, "il ne peut être affirmé (...) qu'aucun abus sexuel n'a été commis". Mais il estimait que les incohérences et "la variation des témoignages ne permettent pas d'établir des faits circonstanciés et étayés à l'encontre des militaires", selon une source proche du dossier.

L'affaire avait éclaté en avril 2015. Le quotidien britannique The Guardian avait alors fait état d'une note interne de l'ONU relatant les auditions de six garçons de 9 à 13 ans qui accusaient des militaires de les avoir violentés dans le camp de déplacés de l'aéroport M'Poko de Bangui. Des viols commis en échange d'argent et de rations de nourriture, entre décembre 2013 et juin 2014, selon leur récit.

Saisi par le ministère de la Défense, le parquet de Paris avait en réalité déjà ouvert, dès juillet 2014, une enquête préliminaire qui avait ensuite été confiée à des juges d'instruction mais qui était restée secrète. Ce silence avait été reproché aux autorités françaises ainsi qu'à l'ONU.

Depuis, d'autres scandales touchant des contingents d'autres pays ont éclaté et les Nations unies ont souvent été critiquées pour leur manque de réactivité. En France, deux autres enquêtes visant des militaires de l'opération Sangaris ont ensuite été ouvertes. L'une d'elles, sur le cas d'une jeune fille se disant victime d'un viol à l'été 2014 avant d'évoquer un rapport consenti non protégé, a été classée fin 2016.

Possible appel des parties civiles

La force Sangaris et ses 2.000 hommes ont été déployés entre 2013 et 2016 en Centrafrique, pays miné par les violences entre rebelles musulmans, les Séléka, et miliciens chrétiens, les anti-balaka, après le renversement de l'ex-président François Bozizé.

Dans leurs premiers témoignages, les enfants avaient donné des détails comme des surnoms ou des caractéristiques physiques des militaires - comme un tatouage - permettant de cibler une dizaine de possibles agresseurs, qui ont été auditionnés, dont un sous le régime de la garde à vue.

Les juges français ont entendu de nouveau les enfants sur place à Bangui en 2015 et 2016. Mais ces auditions, menées longtemps après les faits, ont suscité des doutes. Devant des photos, un enfant a dit reconnaître son agresseur alors qu'il ne s'agissait pas d'un militaire. Un autre a reconnu avoir menti. Un autre encore disait avoir lu le nom d'un soldat sur son uniforme alors que des vérifications ont établi qu'il ne savait pas déchiffrer le mot "maman", d'après le réquisitoire.

L'association partie civile Ecpat, qui lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants, avait demandé une expertise pour s'assurer que la parole des mineurs avait bien été prise en compte mais les juges n'y ont pas fait droit.

L'avocat de l'ONG Emmanuel Daoud a annoncé qu'il ferait probablement appel de l'ordonnance "pour ne pas donner le sentiment (...) que l'affaire est terminée et que nous renoncerions à (...) établir les responsabilités et les culpabilités".

Devant les enquêteurs, la fonctionnaire onusienne qui a recueilli les premiers témoignages des enfants s'est dite convaincue de leur sincérité.

Certains militaires ont affirmé avoir donné des rations alimentaires, dans un contexte de grande pauvreté, mais ils ont nié tout abus sexuel et les écoutes n'ont rien donné. Sur le téléphone de l'un d'eux, des dizaines de vidéos pornographiques ont été retrouvées, dont huit à caractère pédopornographique, chiffre trop faible pour caractériser un profil pédophile, selon une source proche de l'enquête.

"Nous avons assisté depuis le début de l'enquête à la chronique d'un non-lieu annoncé", a réagi Rodolphe Constantino, avocat d'une autre association partie civile, Enfance et Partage.

Avec AFP

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