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La violence dans le football, reflet du malaise social en Tunisie


L’équipe nationale de la Tunisie, en rouge, affronte celle du Burkina lors de la Coupe d’Afrique des nations au stade de l’Amitié, à Libreville, Gabon, 28 janvier 2017.
L’équipe nationale de la Tunisie, en rouge, affronte celle du Burkina lors de la Coupe d’Afrique des nations au stade de l’Amitié, à Libreville, Gabon, 28 janvier 2017.

Sièges arrachés, projectiles lancés sur les joueurs, affrontements entre supporters et policiers: le football tunisien, bien que déjà habitué aux incidents, a connu une intensification des violences cette saison, reflet d'un malaise social persistant.

Si la "finale" du championnat entre l'Espérance de Tunis (EST) et l'Etoile du Sahel (ESS) s'est terminée jeudi sans accroc majeur et sur le sacre du club tunisois, les incidents dans les stades ont fréquemment alimenté la rubrique des faits d'hiver.

Et malgré la généralisation des huis clos partiels visant à restreindre les risques, "le degré de violence dans les stades a récemment augmenté", a reconnu fin avril le ministre de l'Intérieur, Hédi Majdoub.

La ministre des Sports, Majdouline Cherni, est allée plus loin en dénonçant un "terrorisme des stades", une expression qui a suscité la polémique.

Son ministère a annoncé dans la foulée avoir commencé à préparer une loi contre ces violences. Et, comme dans d'autres pays, il planche sur une liste "d'interdits de stade".

Les propos choc de Mme Cherni faisaient suite à des heurts, le 30 avril, lors du derby entre le Club africain (CA) et l'EST, au cours duquel au moins 15 policiers et 15 supporters ont été blessés.

Un mois plus tôt, des centaines de fans de l'EST et du CA -les grands clubs rivaux de Tunis-, s'étaient affrontés en pleine ville.

En janvier, un policier avait été grièvement blessé à un oeil durant un match amical entre le Paris SG et le CA.

Et que dire des événements du 1er mars lors du match entre le Club sfaxien et l'Etoile du Sahel? Comme cela arrive parfois, le président du Club sfaxien, Moncef Khemakhem, est entré sur la pelouse pour contester une décision arbitrale.

De manière plus cocasse, il a ensuite avoué avoir mordillé l'oreille puis "pincé les fesses" d'un arbitre-assistant, avant de se vanter d'avoir obtenu in fine un pénalty aussi décisif que généreux. Il a été "suspendu à vie de toute activité dans le football" par la Fédération.

- 'Injustice et frustration' -

Ces incidents témoignent d'"un phénomène social qui dépasse le sport", estime Amine Mougou, porte-parole de la Fédération, d'après qui "la tension dans le pays se répercute dans les stades".

Commentant une ancienne étude ministérielle, des sociologues jugent que ces violences ont pris de l'ampleur sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011) car elles étaient un moyen de "respirer" et de "protester" dans un pays muselé.

Aujourd'hui, bien que la liberté d'expression soit considérée comme un acquis de la révolution, cette violence est due au "sentiment généralisé d'injustice et de frustration envers la classe politique et les gouvernements", affirme à l'AFP le chercheur en sociologie Tarek Belhaj Mohamed.

La majorité des personnes impliquées sont des jeunes n'appartenant à aucun parti, organisation ou syndicat, des structures devenues "incapables d'encadrer ou de proposer des alternatives", poursuit-il.

Responsable d'un syndicat policier, Nassim Rouissi juge lui que l'augmentation des violences est due à "l'affaiblissement des appareils de l'Etat" depuis la révolution.

Des supporters et dirigeants de clubs font, à l'inverse, porter à la police la responsabilité de certains incidents, comme lors du récent derby Espérance-Club africain.

Firas Kéfi, présent dans les gradins ce jour-là, affirme à l'AFP que les policiers ont tout fait pour "énerver" les supporters, en multipliant les fouilles corporelles ou en "proférant des insultes".

Dans des vidéos très partagées, on peut voir un policier assener un coup de matraque à un supporteur à terre, et des agents frapper d'autres spectateurs fuyant les heurts. Le CA a réclamé, jusque-là en vain, l'ouverture d'une enquête.

Auteur d'un documentaire intitulé "Attitude", Inès Ben Othman a côtoyé durant des mois des groupes de supporteurs "ultras" et dit avoir découvert un monde "très différent de l'image véhiculée".

Ces incidents "reflètent la violence de notre société" et le sentiment de "marginalisation" d'une frange de la population, a-t-elle affirmé en marge d'une présentation de son documentaire à Tunis.

"J'ai envie de susciter le débat", a ajouté la jeune femme, dont l'ambition est désormais d'"émettre des recommandations pour les ministères, la Fédération".

Avec AFP

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