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Bobi Wine assigné à résidence, l'opposition ougandaise paralysée


Les forces de sécurité devant le domicile du candidat présidentiel Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, à Magere, en Ouganda, le 16 janvier 2021, avant l'annonce des résultats des élections ougandaises. (Photo par Sumy SADURNI / AFP)
Les forces de sécurité devant le domicile du candidat présidentiel Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, à Magere, en Ouganda, le 16 janvier 2021, avant l'annonce des résultats des élections ougandaises. (Photo par Sumy SADURNI / AFP)

À Kampala, capitale de l'Ouganda généralement hostile au président Yoweri Museveni, ses opposants n'osent pas manifester pour contester sa réélection, déboussolés par l'assignation à résidence de leur candidat Bobi Wine. Ils oscillent entre peur et résignation.

Depuis que l'ancien chanteur de ragga a rejeté les résultats et qualifié l'élection de "mascarade", sa maison est encerclée par les forces de l'ordre et ses partisans semblent paralysés.

"Tout le monde a peur", témoigne une restauratrice du bidonville de Katwe, qui souhaite rester anonyme. Ici comme dans le reste de la capitale, la population a largement voté pour M. Wine et son parti, la Plateforme d'unité nationale (NUP). "Si la police t'identifie comme un soutien de Bobi Wine, ils vont t'arrêter", craint-elle.

A 38 ans, Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi, s'est imposé comme le principal espoir d'alternance en Ouganda, face à l'inamovible président Museveni, qui vient d'obtenir à 76 ans un sixième mandat avec 58,6% des voix.

Si le jeune député a appelé ses partisans à rejeter la réélection de l'ex-guérillero, au pouvoir depuis 35 ans, il ne leur a pas demandé de manifester. Son parti promet d'employer tous les moyens légaux pour faire annuler le scrutin.

Maintes fois arrêté depuis 2018, M. Wine n'a pas quitté son domicile depuis l'élection. Les policiers et militaires qui l'encerclent stoppent tous ceux qui souhaitent lui rendre visite, y compris l'ambassadrice des Etats-Unis.

Le gouvernement réfute lui toute tentative de museler l'opposant, et explique vouloir assurer sa "nécessaire protection".

"Huit jours après l'élection, je suis toujours assigné à résidence pour avoir défié et vaincu le général Museveni lors d'une élection qu'il a définitivement truquée !", a tweeté jeudi l'ex-popstar, en assurant que l'Ouganda finira par "être libre."

Mais à Kampala, où son parti a remporté huit des neufs sièges de députés, la population acquise à M. Wine semble déboussolée.

Apathie

Certains espèrent que M. Wine appellera à manifester, une fois qu'il sera libre.

"On l'empêche de nous parler. Je suis sûr que s'il pouvait se déplacer, nous serions dans la rue et la commission électorale changerait les résultats", regrette auprès de l'AFP Jonas Ayebazibwe, un marchand ambulant de 26 ans.

D'autres semblent déjà résignés. L'Ouganda est dirigé par M. Museveni depuis 1986: les trois quarts de la population ont moins de 30 ans et n'ont connu que lui au pouvoir.

"En Ouganda, une fois qu'un chef est déclaré, le résultat ne changera pas, peu importe l'ampleur de la contestation. Manifester, c'est une perte de temps", estime Beatrice Namuli, mère au foyer de trois enfants.

S'appuyant sur son parti hégémonique, le Mouvement de résistance nationale (NRM), qui a modifié deux fois la Constitution pour lui permettre de se représenter, M. Museveni a toujours déjoué la contestation.

Lors des quatre élections précédentes, l'ancien leader de l'opposition Kizza Besigye n'a jamais réussi à le détrôner. En 2011, les grandes manifestations contre la hausse des prix de la nourriture et de l'essence ne l'ont pas non plus déstabilisé.

Le président autoritaire dispose d'un appareil sécuritaire dévoué, qui n'hésite pas à tirer à balles réelles. En novembre, 54 personnes ont été tuées par la police lors de manifestations de protestation contre une énième arrestation de M. Wine.

Enfermé chez lui, le jeune rival de M. Museveni assure avoir de nombreuses preuves d'irrégularités, mais la suspension d'internet la semaine dernière a rendu toute publication difficile.

L'accès au réseau a été partiellement rétabli lundi et des vidéos montrant des bourrages d'urnes et des bulletins préremplis commencent à émerger sur les réseaux sociaux.

"Nous examinons sérieusement ces accusations et nous allons enquêter pour évaluer la véracité de ces vidéos", a assuré jeudi la commission électorale sur Twitter.

"Même lorsque Bobi saisira la justice, les résultats ne vont pas changer", reprend Mme Namuli. "Mieux vaut attendre que Museveni finisse ses cinq ans, et lorsqu'il reviendra pour le défier, on sera là pour le soutenir."

Après avoir participé à la campagne de M. Wine, Vincent Mukasa regrette l'apathie ambiante.

"Les Ougandais préfèrent attendre avant de prendre parti lorsqu'il y a un problème", peste ce militant de 28 ans. "Mais les gens croient en Bobi, s'ils le voyaient dans la rue, même ceux qui ont peur nous rejoindraient."

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