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Jean Francois Clervoy (astronaute français) : "dans la Station Spatiale Internationale aujourd’hui, ce n’est pas du tout la guerre"


Le commandant Jean-François Clervoy, de Toulouse, en France, lève ses deux pouces face aux photographes, pendant qu’il s’avance pour monter à bord de l’"Astro-Van" avec ses collègues membres d'équipage avant le décollage de la navette spatiale Atlantis, 15 mars 1997
Le commandant Jean-François Clervoy, de Toulouse, en France, lève ses deux pouces face aux photographes, pendant qu’il s’avance pour monter à bord de l’"Astro-Van" avec ses collègues membres d'équipage avant le décollage de la navette spatiale Atlantis, 15 mars 1997

Jean Francois Clervoy a exécuté trois missions pour le compte de l’agence nationale américaine de l’aéronautique et de l’espace (NASA) dans les années 90. Il fait aujourd’hui partie des trois français qui sont encore actifs dans le corps des astronautes de l’Agence Spatiale Européenne.

L'astronaute français a accordé cette interview à VOA Afrique après le retour sur terre de la capsule Soyouz transportant les Russes Sergueï Volkov et Mikhaïl Kornienko et l'Américain Scott Kelly au terme de leur mission de 340 jours à bord de l'ISS en vue de préparer d'éventuels voyages vers Mars.

VOA Afrique : Bonjour Jean-François Clervoy. Expliquez-nous vos trois missions dans l’espace. Qu’avez-vous fait ?

Jean Francois Clervoy : J’ai fait trois vols à bord de la navette spatiale, la première en novembre 1994 à bord de l’Atlantis, pour étudier l’atmosphère. Nous volions sur le dos quasiment tout le temps, donc on voyait la Terre par les hublots du plafond du cockpit. La deuxième mission, c’était en mai 1997 également à bord de l’Atlantis, pour ravitailler la station spatiale russe Mir. Donc on s’est accosté à la station russe, on a rendu étanche l’interface puis on a ouvert les portes, et pendant 5 jours on a déménagé 4 tonnes de matériel, de vêtements, de nourriture, et on a échangé un membre de l’équipage. Et mon troisième vol en novembre 1994, c’était à bord de Discovery, pour réparer le télescope spatial Hubble, qui avait perdu son système de pointage.

Jean Francois Clervoy joint par Maylis Haegel
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VOA Afrique : A quoi ça ressemble, une journée dans l’espace ?

J-F C : L’espace n’est pas si loin que ça finalement, il est à peu près à une centaine de km d’altitude au-dessus de nos têtes. C’est quand même une grosse distance par rapport à l’altitude des avions. On fait le tour de la Terre en 1h et demie en volant à 28 000 km/h. On fait 16 tours du monde par jour. La moitié du temps, notre vaisseau est éclairé par le Soleil, et l’autre moitié du temps, on survole le côté de la Terre qui est à l’ombre.

A bord, on a un rythme de 24h, avec au moins 8h de sommeil, et un peu de temps libre -1h le matin, 1h le soir- pour faire sa toilette, pour le petit-déjeuner le matin et le dîner le soir, pour ranger et installer son sac de couchage. Et puis la journée, on travaille, entre 14 et 15h par jour. Pour les longs séjours sur la Station Spatiale Internationale, les journées sont moins remplies. Sur les vols de longue durée, je comparerai la vie à bord à du camping pour ce qui est de la vie quotidienne. Mais pour ce qui est du travail, le travail d’un astronaute est celui d’un opérateur. On est tous formés aux mêmes tâches, qui sont des tâches d’opérateur, notre rôle c’est mettre en œuvre du matériel complexe qui permet à des chercheurs qui sont au sol de faire progresser la science.

VOA Afrique : Quels sont vos sensations à bord d’un vaisseau, ça ne fait pas peur de se sentir aussi loin de la planète et au milieu de nulle part dans l’espace ?

J-F C : C’est vrai que quand on regarde du côté du ciel noir, obscur, vide de tout, on a l’impression qu’il n’y a rien d’autre. Mais quand on éteint toutes les lumières du cockpit, on peut commencer à voir des étoiles par millier, c’est fantastique. En général, on est assez proche de la Terre, c’est une grosse boule bleue qui nous paraît assez proche, on est en fait qu’à 400 km et la Terre couvre un champ de 120 degrés, donc ça prend presque tout le champ de vue quand on regarde par le hublot.

Et finalement, on tombe amoureux de la Terre, parce qu’on la trouve très belle. Tous ces contrastes de couleur, on voit du bleu, du vert, du turquoise… Et puis, la planète abrite la vie, elle est vivante, elle force le respect. Quand on voit les ouragans, les volcans… Tout va très vite. On fait le tour de la Terre en 1h et demie, on traverse la France en 2 minutes, donc on passe très rapidement des glaciers, aux déserts, aux forêts tropicales, aux grandes chaînes de montagnes comme l’Himalaya, aux couleurs turquoises de la Polynésie française... C’est magnifique. Les sensations sont très visuelles, c’est un spectacle unique et magique ! L’autre sensation, c’est l’absence de sensation de poids, on flotte en apesanteur tout le temps de la mission. On est ni attiré vers le haut ou le bas, on est en chute libre, on tombe tout le temps mais sans jamais rencontrer d’obstacle. Et donc, on ne sent pas son poids, et on arrive même à ne plus sentir qu’on a un corps.

VOA Afrique : Comment est le retour sur Terre ? N’est-ce pas trop dur de s’adapter à la gravité terrestre après tout ce temps passé en apesanteur ?

J-F C : Le retour sur Terre est plus difficile que l’adaptation à l’apesanteur dans l’espace. Même si pour s’adapter à flotter en permanence, ça prend en moyenne un ou deux jours. Un astronaute sur quatre vomi et ressent des nausées comme le mal de mer. Le retour sur Terre prend plus de temps car l’oreille interne, qui est le sens de l’équilibre a perdu toutes ses références de verticalité pendant le vol spatial. On se sent très lourd, on a perdu de la masse osseuse et de la puissance musculaire malgré les exercices quotidiens faits dans l’espace pour entretenir le corps. Donc il y a plusieurs fonctions qui se sont altérées et qui nécessitent pas mal de temps pour être réhabituées. Dans tous les cas, un astronaute qui revient d’un voyage sur Terre va pouvoir se tenir debout quelques heures après l’atterrissage et marcher en gardant les yeux ouverts. Mais il lui faudra plusieurs semaines pour revenir à une vie normale.

VOA Afrique : Vous, vous voyagiez dans les années 90, qu’est-ce qu’il y a évolué depuis et comment voyez-vous l’exploit de Scott Kelly et Mikhail Kornienko ?

J-F C : Moi j’ai effectué des vols courts et intenses car on voulait rentabiliser le temps passé dans l’espace. La différence avec aujourd’hui, c’est que tous les vols sont longs maintenant, mais ils ne sont pas différents en terme de sensation, d’émotion ou de façon de mettre en œuvre ou de piloter le système comme le faisaient les russes à bord de leur Station Spatiale Mir dans les années 90. Mais aujourd’hui, la technologie est quand même plus avancée, donc je dirai qu’aujourd’hui, on a de meilleures connaissances sur comment aider le corps humain à rester capable de revenir sur Terre en cas d’urgence et surtout à s’adapter à l’apesanteur. Et surtout Internet, dont on dispose à bord de la Station Spatiale Internationale, permet aux astronautes de converser avec leur famille, leurs amis via les réseaux sociaux. Donc Scott Kelly a entretenu une relation avec ses proches par e-mail, et parfois il m’appelait sur mon portable, et puis il a twitté plusieurs fois par jour en envoyant des photos. Donc ce qui change le plus, c’est la capacité des astronautes à être connecté en permanence avec le monde terrestre.

VOA Afrique : Comment se prépare-t-on mentalement et physiquement à effectuer un voyage dans l’espace ?

J-F C : Il y a trois phases. La première, c’est quand on vient d’être sélectionné comme astronaute, on apprend comment fonctionnent tous les systèmes, comment ils ont été conçus, comment on est sensé les utiliser, mais sans que ce soit spécifique à une mission donnée. Quand on est affecté pour une mission spécifique, on répète plusieurs phases de la mission, on va s’entrainer aux tâches un peu complexes, et dans les simulateurs on va répéter des tâches de la mission avec beaucoup de simulations de pannes, donc on est sollicité sur des scénarios beaucoup plus difficiles dans les simulateurs que ce qui arrivera dans l’espace. C’est ce qui construit la préparation mentale. Il n’y a pas de coach spécialisé en méditation mais la connaissance parfaite du fonctionnement du vaisseau -l’état serein dans lequel on arrive au moment du décollage parce qu’on connait bien notre vaisseau, comment l’utiliser et faire face aux pannes- c’est ça qui fait qu’on se sent bien. La sérénité de l’astronaute qui part dans l’espace vient surtout de sa parfaite maîtrise des systèmes qu’il va mettre en œuvre dans l’espace. Et il sait aussi qu’à tout moment il peut retourner sur Terre en quelques heures. Il sait qu’il peut converser avec son médecin, qu’il peut demander de l’aide au centre de contrôle. Donc il n’est pas tout seul dans l’espace.

VOA Afrique : Apres votre retour sur Terre, quels sont vos sentiments, est-ce que vous avez l’impression d’avoir contribué à quelque chose de grand ?

J-F C : L’obsession des astronautes, c’est atteindre l’objectif de la mission. Un astronaute ne veut surtout pas revenir bredouille en disant que c’était trop dur. Les astronautes n’ont pas vraiment la peur de mourir car c’est une peur qui est évacuée grâce au professionnalisme et cette compétence très aiguë qu’on acquiert pendant l’entrainement, mais on a peur de faire une erreur qui va saboter une expérience scientifique par exemple. C’est pour ça qu’on travaille à atteindre un niveau d’excellence très élevé et à la fin, on est content d’avoir accompli la mission. C’est une satisfaction qui compte dans le plaisir de faire ce métier.

VOA Afrique : L’espace, ça nous paraît loin, inatteignable, inaccessible, mais en quoi ce qui s’y passe peut affecter la vie de l’homme ordinaire sur Terre ?

J-F C : La grande majorité des activités spatiales sont à caractère commercial et rendent service au quotidien. La télévision est donnée grâce aux antennes paraboliques. On peut connaître la météo également, et on peut gérer les catastrophes naturelles, les ressources, la gestion des cultures grâce aux photos de la Terre. Et également, il y a les satellites qui permettent de connaître notre emplacement sur Terre à tout moment au mètre près, c’est ce qu’on appelle le GPS.

Pour vous donner une idée, si on éteignait les quelques centaines de satellites qui tournent autour de la Terre, ce serait le chaos très grave instantanément pour tout le monde sur Terre. Pour les transactions financières, pour la navigation des avions basés sur le GPS, pour toutes les activités liées à la météo. Et puis, pour la moitié de la population qui bénéficie de la télévision, ça ne marcherait plus. On ne s’en rend pas compte mais l’espace est présent au quotidien dans beaucoup d’activités dont on ne peut plus se passer.

Et en ce qui concerne l’exploration spatiale, le but est surtout de faire avancer la connaissance, sur comment fonctionne le corps humain par exemple. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que sur des sujets sains d’un point de vue médical qu’on envoie dans l’espace, il se passe des phénomènes qui, sur des personnes sur Terre, seraient significatifs d’une maladie. On apporte beaucoup de connaissances dans les disciplines médicales qui aident à faire avancer les moyens de soigner ces maladies sur Terre.

Et au sens plus philosophique, on aide à répondre aux questions sur d’où l’on vient, qui on l’est, pourquoi on est là, et où on pourrait s’expatrier un jour si la Terre devient inhabitable dans un lointain futur. Mais la planète deviendra inhabitable de toutes façons pour sûr. On sait aujourd’hui que dans un milliard d’années, la Terre sera invivable pour les mammifères, pour toute forme de vie à sa surface. Donc, soit l’Homme n’a pas appris entre temps à vivre ailleurs et l’espèce humaine disparaîtra ; soit on aura appris petit à petit, à vivre ailleurs et on aura permis à l’espèce humaine de perdurer.

VOA Afrique : Question des auditeurs - "Pourquoi toutes les grandes nations envoient leurs hommes dans l’espace ? Est-ce que c’est une guerre internationale spatiale et une recherche de leadership où chaque nation veut inscrire son nom dans l’histoire ?"

J-F C : Au départ en effet, c’était une compétition entre les Etats-Unis et l’URSS pour aller sur la Lune. Aujourd’hui, l’Homme dans l’espace n’est plus l’objet d’une compétition mais d’une coopération internationale. Il n’y a pas une seule transpiration des conflits terrestres au niveau spatial. Dans la Station Spatiale Internationale aujourd’hui -à laquelle les Chinois ne sont pas encore partenaires malheureusement car les Américains les empêchent- les Japonais, les Russes, les Américains et les Européens travaillent ensemble dans l’ISS comme frères et sœurs, qui se rendent service mutuellement par des vaisseaux ravitailleurs qui viennent aider les autres, sans que les conflits terrestres ne perturbent en quoi que ce soit cette coopération. Ce n’est pas du tout la guerre, c’est l’inverse. Le Spatial est un domaine d’excellence de coopération internationale pacifique.

Dans le domaine commercial, c’est-à-dire les communications, la navigation par le GPS, la télévision directe, les photos pour chercher des ressources, là, c’est la compétition entre industriels qui cherchent à vendre leurs satellites. Mais c’est une compétition saine comme pour l’industrie de l’automobile, de l’aéronautique etc…

Il n’y a pas de guerre dans l’espace. L’Homme dans l’espace, c’est avant tout un enjeu géopolitique, stratégique, de démonstration de quoi on est capable. Ça participe à l’image d’un pays : un pays qui maitrise le vol habité, c’est un pays qui maîtrise les technologies à un niveau très élevé.

Propos recueillis par Maylis Haegel

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