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CAN-2019 : Brazzaville-Kinshasa, un derby, des blessures


Des jeunes garçons jouent au football sur le port de Dongo, un petit village situé au bord de la rivière Ubangui, dans la région nord-ouest de la RDC, le 24 juin 2015.
Des jeunes garçons jouent au football sur le port de Dongo, un petit village situé au bord de la rivière Ubangui, dans la région nord-ouest de la RDC, le 24 juin 2015.

Exilé depuis dix ans à Brazzaville, Jean-Bienvenu Likanzu Mokolo évite d'aller sur la corniche qui surplombe le fleuve Congo avec son panorama imprenable sur les beaux quartiers de Kinshasa, sa ville d'origine à cinq ou six kilomètres en face, sur l'autre rive.

La nostalgie est trop forte pour ce réfugié politique qui a fui les autorités de la République démocratique du Congo en août 2008 en traversant le fleuve de nuit sur une pirogue.

"C'est très dur de regarder Kinshasa et de ne pas avoir la possibilité d'y revenir. C'est très douloureux de regarder son pays, la ville où l'on a grandi", soupire M. Likanzu Mokolo, 50 ans, un des 15.000 réfugiés de la RDC enregistrés par les Nations unies en République du Congo (ou Congo-Brazzaville), le pays voisin, frère et rival.

"Ma vie était en danger après plusieurs arrestations", résume ce proche de l'opposant et ex-chef de guerre Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux à la première présidentielle de 2006 face au président Joseph Kabila.

Le nouveau scrutin prévu le 23 décembre en RDC lui a inspiré un bref espoir de retour, qui a disparu avec le rejet de la candidature de Jean-Pierre Bemba.

Il songe désormais à poursuivre son exil plus loin que Brazzaville : "Avec les frontières poreuses, je crains l'insécurité. Je cherche à aller ailleurs, pour trouver une vie normale".

Comme le sien, des dizaines de milliers de destins croisés relient Brazzaville à Kinshasa. La vie va s'arrêter dimanche dans les "deux capitales les plus proches au monde" (Rome et le Vatican mis à part) le temps d'un "derby" décisif pour la prochaine Coupe d'Afrique des Nations de football.

"Ce n'est jamais un match comme les autres", écrivent les "Dépêches de Brazzaville", le quotidien qui se déclinent sur l'autre rive en "Courrier de Kinshasa".

Officiellement, "Kin-la-belle" et "Brazza" entretiennent de bonnes relations, avec des rencontres régulières entre les deux présidents congolais, Joseph Kabila et Denis Sassou Nguesso.

Les deux villes parlent les mêmes langues (français et lingala), écoutent la même musique (la rumba) et affichent un même goût pour l'élégance vestimentaire, en dehors du cercle restreint de leurs "Sapeurs".

Mais Brazzaville, plus prospère et moins peuplée (à peine deux millions d'habitants) se méfie de sa turbulente voisine, troisième mégapole d'Afrique avec neuf à 12 millions d'habitants.

"C'est très risqué à Kinshasa quand même", avance Fred, chauffeur de taxi, un cliché récurrent à Brazzaville.

- Présumées prostituées -

Les préjugés sur Kinshasa - qui est pourtant loin d'être une capitale du crime - ont visé les jeunes kinoises de moins de 30 ans.

Pendant plusieurs années, sur décisions de la RDC, elles n'ont pas eu le droit d'aller à Brazzaville en célibataire, sous prétexte de lutte contre la prostitution. La mesure vexatoire a été levée récemment, d'après des sources au "Beach" (port) de Kinshasa.

La libre-circulation n'est pas totale entre les deux "pays-frères". Leurs ressortissants bénéficient d'un laissez-passer de trois jours, mais doivent solliciter un visa s'ils veulent prolonger leur séjour de l'autre côté du fleuve Congo.

Pays pétrolier, la République du Congo-Brazzaville attire des dizaines de milliers de Congolais d'en face en quête d'une vie meilleure. Même diminué de moitié depuis 2011, son PIB/habitant reste quatre fois plus élevé (1.658 contre 457 dollars pour la RDC).

En avril-mai 2014, les autorités de Brazzaville ont expulsé plus de 50.000 "Zaïrois" sous prétexte de lutte contre l'immigration clandestine et la délinquance.

"Je garde un souvenir traumatisant des violences exercées sur nous", affirme l'une des "expulsées" Alphonsine, une veuve de 47 ans retrouvées à Kinshasa dans un quartier périphérique.

"Mon mari a succombé à ses blessures", accuse-t-elle.

"Pour reprendre la vie ici à Kinshasa, c'était difficile. Nous avons passé deux ans dans la rue, de 2014 à 2016", poursuit François Okitadoli, président de l'"Association des expulsés de Brazzaville". "Les 1.500 dollars remis par l'épouse du président Kabila n'ont pas permis à la majorité d'entre nous de réussir leur réinsertion".

A tel point que de nombreux "expulsés" sont repartis à Brazzaville, plus ou moins légalement. "J'ai cherché du boulot à Kinshasa mais je n'en ai pas trouvé. Donc je suis revenu ici en 2017", explique Luc (prénom changé), un ouvrier rencontré dans un quartier en plein développement de Brazzaville.

Officiellement, un pont devrait un jour relier les deux villes. Officiellement... En attendant, c'est en bateau que les Léopards de Kinshasa sont arrivés vendredi à Brazzaville pour leur match de dimanche contre les Diables rouges. Celui qui perd sera éliminé.

Avec AFP

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