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Au Bangladesh, la double peine des "veuves de tigres"


Mosammat Rashida tenant un portrait de son mari tué par un tigre du Bengale en 2009, Shyamna, Bangladesh, 11 novembre 2019.
Mosammat Rashida tenant un portrait de son mari tué par un tigre du Bengale en 2009, Shyamna, Bangladesh, 11 novembre 2019.

Trois mois après avoir été soufflé par un cyclone, le toit de tôle ondulée de la bicoque de Mosammat Rashida n'est toujours pas remis en place. Impossible pour cette mère bangladaise d'obtenir de l'aide de ses voisins, effrayés par les superstitions autour des "veuves de tigres".

Dans les campagnes du Bangladesh, les villageois ostracisent les femmes dont le mari a péri tué par un tigre du Bengale. La croyance populaire voit en elles des oiseaux de malheur et les tient pour responsables de la mort de leur conjoint.

Même les deux fils aînés de Mosammat Rashida, âgés de 24 et 27 ans, l'ont abandonnée: "ils m'ont dit que j'étais une sorcière qui portait malchance", dit la veuve de 45 ans, essuyant ses larmes. Elle a perdu son mari il y a une dizaine d'années lorsqu'il était parti chercher du miel dans la jungle.

"Ils font partie de la société, après tout", avance cette habitante pour essayer d'expliquer le comportement de ses enfants dans leur village de cueilleurs de miel de Gabura, situé en bordure des Sundarbans, la plus grande forêt de mangroves de la planète.

Depuis le passage du cyclone Bulbul début novembre au Bangladesh, Mosammat a partiellement recouvert le trou béant au-dessus de son foyer par une bâche. "Le chef de village est passé devant ma maison. Il a aidé les voisins, mais pas moi", dit-elle. Les responsables démentent lui avoir refusé de l'aide après la catastrophe naturelle.

- Changer les croyances -

Des ONG ont lancé des campagnes de sensibilisation pour encourager ces communautés très conservatrices à abandonner leurs préjudices "vieux de plusieurs siècles", indique Mohon Kumar Mondal, directeur de Ledars Bangladesh.

Les ONG "travaillent à restaurer la dignité des veuves. Le principal obstacle est de changer les croyances des gens", dit-il. "Le changement est très lent. Toutefois, je dirais qu'il y a du progrès", juge-t-il, notant que les villageois plus jeunes et plus éduqués sont moins effrayés par les "veuves de tigres".

Toutes ces femmes, estimées par les ONG à plusieurs milliers, ne sont pas ostracisées de la même manière. Une poignée d'entre elle reçoit le soutien de leur famille et leurs voisins. Rijia Khatun, qui a perdu son mari sous les griffes d'un tigre il y a quinze ans, a ainsi été soutenue secrètement par son neveu et sa famille. "Mes fils étaient jeunes. Mais personne ne m'a aidée. Je me sentais mal au début car on m'accusait d'être responsable de la mort de mon mari, témoigne-t-elle, ajoutant avoir "appris à vivre avec cette adversité."

Son neveu Yaad Ali, qui a été le témoin de plusieurs attaques de tigres, dont celle sur son oncle, éprouve de la compassion pour sa situation. "Nous devions (l'aider) en cachette sinon les gens du village nous auraient ostracisés également", confie-t-il.

Récolter du miel est vu comme le métier traditionnel pour les villageois n'ayant pas les moyens de se procurer l'équipement nécessaire pour la pêche, l'autre mode de subsistance de la région. Mais la peur d'être tué par un tigre, fait que les hommes désertent aujourd'hui en masse cette ligne de métier.

Harun ur Rashid, dont le père a succombé à un tigre, est ainsi désormais pêcheur, marquant une rupture avec toute les générations de cueilleurs de miel de sa famille. "Ma mère ne veut pas que je finisse comme mon père", déclare-t-il. "Je veux rester en vie et prendre soin d'elle car elle énormément souffert et traversé beaucoup d'épreuves après la mort de mon père", ajoute-t-il.

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