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Accident minier en RDC: les "creuseurs", premier maillon d'un marché souvent opaque


Des creuseurs artisanaux dans une mine d'or au Nord-Kivu en RDC, 21 avril 2015. (VOA/Charly Kasereka)
Des creuseurs artisanaux dans une mine d'or au Nord-Kivu en RDC, 21 avril 2015. (VOA/Charly Kasereka)

Les dizaines de chercheurs d'or artisanaux, qui ont péri dans l'accident d'une mine vendredi dans l'est de la République démocratique du Congo, représentent le premier maillon vulnérable d'une chaîne d'approvisionnement souvent clandestine qui va jusqu'à Dubaï, d'après les experts.

Au total 22 corps de "creuseurs" ont été retrouvés lundi, trois jours après la catastrophe dans la cité minière de Kamituga dans la province du Sud-Kivu, selon un témoin sur place.

Dès le matin, les secours ont poursuivi leurs recherches en présence des habitants. Une vingtaine de familles ont signalé la disparition d'au moins un proche, d'après le maire.

Les "creuseurs" de Kamituga cherchaient de l'or sur le site d'une filiale de la société canadienne Banro, qui a annoncé la suspension de ses activités industrielles il y a un an.

Ils revendaient l'or qu'ils parvenaient à extraire, au péril de leur vie, à des comptoirs d'achat et des négociants locaux. "A Kamituga, on peut trouver 300 comptoirs d'achat", d'après Raoul Kitungano, coordonnateur de l'ONG Justice pour tous.

Ces négociants exportent ensuite l'or artisanal du Sud-Kivu et de l'Ituri vers les pays frontaliers voisins (principalement Burundi et Ouganda).

Un trafic qui échappe largement au contrôle des autorités congolaises. "Un haut fonctionnaire de l'administration minière du Sud-Kivu a estimé qu'environ 300 kg d'or non déclarés étaient passés en transit chaque mois par Bukavu, mais les statistiques des autorités provinciales ne montraient que 5 kg en moyenne par mois", explique un rapport d'experts des Nations unies sur la RDC de juin 2019.

"Les négociants locaux revendent le produit du travail des creuseurs artisanaux mal payés à des trafiquants transfrontaliers, qui exportent à leur tour clandestinement cette production vers Bujumbura principalement, ou Kampala", détaille Me Lambert Djunga, avocat spécialisé dans les mines joint par l'AFP.

Kampala et Bujumbura abritent des comptoirs qui revendent l'or "à des prix élevés aux monarchies du Golfe ou en Europe", ajoute-t-il.

Selon le rapport d'experts des Nations unies, Dubaï demeure la destination finale de l'or produit par les mineurs pratiquant l'exploitation artisanale en RDC.

-"Il faut une réforme"-

Sur fond de crise économique, l'or a atteint un sommet historique en août, au-dessus de 2.000 dollars l'once (31 grammes).

Éternelle valeur refuge, réserve de change des banques centrales, l'or sert aussi évidemment à fabriquer des bijoux et est utilisée en dentisterie et en médecine.

"L'or est présent en petites quantités dans presque tous les appareils électroniques, du téléphone cellulaire aux télévisions en passant par les GPS et les ordinateurs", rappelle aussi l'ONG Impact.

Au total, la production d'or artisanale représenterait 25% de la production industrielle des régions aurifères de la RDC (Sud-Kivu et surtout Ituri), d'après Me Djunga.

Outre l'or, la RDC produit aussi du cobalt, du cuivre et du coltan. "La Banque mondiale estime que l'exploitation minière artisanale constitue le moyen de subsistance de dix millions de Congolais", souligne l'ONG Impact, qui plaide pour plus de transparence dans les chaînes d'approvisionnement.

Le rapport des experts des Nations unies a établi "que certains groupes armés continuaient de financer leurs opérations par des activités d'extraction illégales, contaminant ainsi la chaîne d'approvisionnement".

En RDC, le Code minier révisé en 2018 reconnaît l'activité minière artisanale et des "coopératives", mais pas les "creuseurs" comme ceux de Kamituga.

Un service public doit en théorie apporter "une assistance technique et financière" aux coopératives minières.

Mais "ce service (appelé Saemape) a failli à sa mission. Il faut une réforme car on constate qu'il y a beaucoup de failles", selon Raoul Kitungano de l'ONG Justice pour tous.

"Les autorités doivent prendre leurs responsabilités au lieu de taxer les creuseurs artisanaux", estime un représentant de la société civile à Bukavu, Nicolas Kyalangalilwa.

Samedi, le président Félix Tshisekedi a invité "le gouvernement à prendre des mesures fortes pour que de telles tragédies ne se reproduisent plus" en présentant ses condoléances aux familles des chercheurs d'or de Kamituga.

"J'invite les autorités à permettre à la Banque centrale du Congo, comme à une certaine époque sous Mobutu, à acheter la production artisanale auprès des vrais creuseurs artisanaux au lieu de les livrer à la merci de ces trafiquants qui ne leur paient quasiment rien par rapport au prix de vente", suggère Me Djunga.

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