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A Manille, la trace indélébile du "Thrilla" de Mohamed Ali


Mohamed Ali et Joe Frazier sur le ring à Manille, Philippines, le 1 octobre 1975.
Mohamed Ali et Joe Frazier sur le ring à Manille, Philippines, le 1 octobre 1975.

Un centre commercial bondé est l'héritage improbable du "Thrilla in Manila", le combat le plus féroce jamais livré par Mohamed Ali, qui a aussi laissé dans la mémoire de ses spectateurs une trace indélébile.

La "belle" entre le boxeur de légende et Joe Frazier eut lieu en 1975 à Manille parce que le dictateur philippin Ferdinand Marcos voulait gagner en prestige, trois ans après avoir décrété la loi martiale.

Après s'être montré aux côtés du président et de son épouse Imelda sous les ors du palais présidentiel, Ali est rentré dans le vif du sujet. Résultat: un choc sanglant entre les deux poids lourds dans la moiteur de l'Araneta Coliseum, que beaucoup considèrent encore comme le meilleur match de boxe qu'ils aient jamais vu.

"C'était comme la mort. Ce qui se rapproche le plus de la mort", avait raconté Ali. Il fut déclaré vainqueur lorsque l'entraîneur de Frazier Eddie Futch demanda l'arrêt du combat avant la 15e reprise alors que son champion avait les yeux fermés par les coups.

L'Araneta Coliseum est toujours en affaires, 41 ans après, accueillant des combats de MMA (arts martiaux mixtes) et des concerts.

Au dîner d'après-match, le propriétaire des lieux, Jorge Araneta, avait eu l'idée de demander à Ali s'il pouvait se servir de son nom pour baptiser son nouveau centre commercial.

Le boxeur acquiesça immédiatement, sans demander une quelconque rétribution. Le "Ali Mall" fut ainsi construit tout près de l'Araneta, dans un coin de banlieue reculé devenu un sanctuaire à la gloire de la star décédée vendredi.

Arrosés de sang

Des générations entières de boxeurs philippins, dont le champion Manny Pacquiao, ont biberonné au "Thrilla", le combat qui mit brièvement une dictature pauvre du Sud-Est asiatique sous le feu des projecteurs.

Frazier avait remporté la première manche en 1971, Ali la revanche en 1974. A Manille, l'animosité entre les deux boxeurs est à son comble, attisée par les sorties incendiaires d'Ali.

"Ca sera saignant, ça sera glaçant, ça sera terrifiant quand je vais me faire le gorille à Manille" ("It will be a killa and a chilla and a thrilla when I get the gorilla in Manila"), avait-il scandé, donnant son nom au combat.

Ce 1er octobre 1975, il est près de midi et 25.000 spectateurs se massent dans l'Araneta, dont la climatisation n'arrive pas à faire face.

"C'était vraiment handicapant. Vraiment humide", se rappelle Lito Tacujan, journaliste sportif au Philippine Star.

Frazier avance sans relâche et Ali encaisse avant de reprendre l'initiative.

"Je ne l'aime pas mais ce que je peux dire c'est que sur le ring, c'est un homme", dira Frazier ensuite. "A Manille, je lui ai mis des coups, ces coups auraient pu faire s'écrouler des immeubles".

Témoin de la violence du combat, les vêtements d'Imelda Marcos sont arrosés de sang, selon le récit de Sol Vanzi, confident de la Première dame. "C'était littéralement très sanglant", lui avait-elle dit. "Les coups étaient si puissants, les alentours ont été aspergés de sang, tâchant les vêtements des spectateurs, y compris les miens".

Tournant vers le déclin

Lito Tacujan ajoute: "on ne pouvait pas prendre de notes, notre table tremblait sous l'effet des coups échangés sur le ring. C'était aussi brutal que ça."

Ali a gagné, mais ce choc est un tournant pour le boxeur de 33 ans, le début d'un lent déclin jusqu'à sa retraite en 1981.

Le combat est aussi un triomphe de relations publiques pour Marcos, finalement renversé par le "Pouvoir du peuple" en 1986.

Pour Ronnie Nathanielsz, commentateur sportif désigné par le dictateur pour servir d'entremetteur avec Ali, ce match "mit les Philippines sur la carte du monde à une époque où on était critiqués par la presse occidentale à cause de la loi martiale". "Ce fut l'une des plus grandes réussites du régime Marcos de l'époque".

"Pendant un moment, nous avons été reconnaissants au président Marcos", se souvient Joey Romasanta, vice-président du comité olympique philippin. "Le 'Thrilla' a uni (les Philippins) et leur a fait momentanément oublier leurs problèmes".

Tacujan se rappelle des propos du journaliste respecté Ed Schuyler: "+Vous devez être fiers que ce match ait eu lieu ici. Dans 25 ans, ils en parleront encore+".

"Ca fait 40 ans, et on en parle encore", dit-il à l'AFP.

Avec AFP

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