Le Kenya s'enfonce dans la crise après une présidentielle tronqué

Le president sortant Uhuru Kenya lors du vote à Gatundu, Kenya, 26 octobre 2017.

Une situation confuse et tendue régnait samedi au Kenya, où le sortant Uhuru Kenyatta était largement en tête de la présidentielle boycottée par l'opposition et marquée par une participation en berne et des violences meurtrières.

Dans les bastions de l'opposition kényane - bidonvilles de la capitale Nairobi et ouest du pays -, des violences ont encore éclaté vendredi soir. Elles ont fait au moins neuf morts depuis jeudi, selon un nouveau bilan.

Vendredi soir, un jeune homme a été tué par balle lors de l'intervention de la police à Homa Bay (ouest) après qu'un groupe de jeunes eut attaqué la résidence d'un responsable de la campagne d'Uhuru Kenyatta, a rapporté à l'AFP un responsable policier.

Ce nouveau décès porte à au moins 49 le nombre de morts depuis l'élection invalidée du 8 août, tuées pour la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police.

Dans le bidonville de Kawangware à Nairobi, des heurts entre communautés - notamment entre l'ethnie kikuyu d'Uhuru Kenyatta, majoritaire dans le pays, et des jeunes Luo, la communauté du leader de l'opposition Raila Odinga - ont éclaté et des échoppes de commerçants kikuyu ont été incendiées.

Ces incidents ravivent le douloureux souvenir des violences ethniques qui avaient accompagné la présidentielle de fin 2007 (1.100 morts, 600.000 déplacés).

"Nous l'avons vu par le passé, ces incidents sporadiques violents peuvent se transformer en confrontation aux conséquences tragiques. Si aucune mesure n'est prise rapidement, il est probable qu'on se dirige vers cette situation", s'alarmait samedi The Daily Nation dans un éditorial.

- Scrutin reporté dans l'ouest -

Face aux tensions de vendredi, la Commission électorale a décidé de reporter une nouvelle fois le scrutin dans l'ouest du pays, qui aurait dû s'y tenir samedi, évoquant "les vies en danger" du personnel électoral.

Dans quatre comtés de l'ouest (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya), sur les 47 que compte le pays, la présidentielle de jeudi n'avait pas pu être organisée à cause d'une situation chaotique.

Selon un journaliste de l'AFP, la situation était revenue au calme samedi matin à Kisumu, troisième ville du pays et fief de l'opposition.

Ces mois de crise électorale ont mis en relief les frustrations et le sentiment de marginalisation d'une partie de la société kényane, notamment l'ethnie luo. Depuis l'indépendance du Kenya, en 1963, trois présidents sur quatre ont été kikuyu, ethnie qui domine également l'économie du pays.

Le scrutin de jeudi avait été organisé après un coup de théâtre, inédit en Afrique: l'annulation le 1er septembre par la justice de l'élection du 8 août, à l'issue de laquelle M. Kenyatta avait été proclamé vainqueur face à M. Odinga.

La Cour suprême avait justifié cette décision par des irrégularités dans la transmission des résultats, faisant peser la responsabilité de ce scrutin "ni transparent, ni vérifiable" sur la Commission électorale.

M. Odinga, 72 ans et trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), avait fait pression pour obtenir une réforme de cette Commission, mais l'opposition a jugé insuffisants les changements récemment mis en oeuvre.

Samedi, les opérations de compilation des résultats de la présidentielle se poursuivaient. Selon des résultats non officiels publiés par un des principaux quotidiens du pays, The Nation, M. Kenyatta obtiendrait 97% des voix, devant Raila Odinga qui en obtient moins d'un pour cent.

- Mascarade -

M. Odinga avait appelé ses partisans à boycotter ce qu'il qualifie de "mascarade" électorale, estimant que les conditions n'étaient absolument pas réunies pour la tenue d'un scrutin transparent. Mais des bulletins à son nom étaient disponibles dans les bureaux de vote.

Le très faible taux de participation, estimé à 35%, pose d'ores et déjà la question de la légitimité de M. Kenyatta. S'il est confirmé, ce taux serait, de loin, le plus bas depuis les premières élections multipartites dans le pays en 1992.

Outre le boycottage de l'opposition et les menaces contre les électeurs de M. Kenyatta, 56 ans, dans les bastions de M. Odinga, nombre de partisans traditionnels du président sortant ne se sont, semble-t-il, pas déplacés.

Un manque d'engouement qu'expliquent très probablement un ras-le-bol de l'électorat face aux turpitudes de la classe politique et à la gestion de cette interminable crise électorale.

La faible participation et le boycottage de l'opposition animent aussi les débats dans la presse sur la validité de l'élection, susceptible d'être contestée devant la Cour suprême.

M. Odinga a réitéré vendredi son appel à une campagne de désobéissance civile, afin, a-t-il dit, de contraindre le pouvoir en place à accepter l'organisation d'une nouvelle élection dans les 90 jours.

Avec AFP