En Somalie, un premier laboratoire médico-légal pour lutter contre le viol

Fadumo Jama Yousuf , une technicienne du laboratoire, dans le centre de Garowe, dans l'Etat du Puntland, en Somalie, le 24 janvier 2018.

Corruption des policiers, problèmes dans l'acheminement des échantillons et retards dans l'arrivée d'équipements cruciaux: les défis sont aussi nombreux qu'épineux pour le premier laboratoire médico-légal de Somalie, ouvert fin 2017 avec l'ambition de lutter contre un crime trop rarement puni dans ce pays, le viol.

L'enthousiasme de l'enquêteur en chef de la police de Garowe, capitale de l'Etat semi-autonome du Puntland (nord) où le laboratoire est situé, est pourtant intact. Abdifatah Abdikadir Ahmed se réjouit à l'idée de mener des "enquêtes scientifiques, avec des preuves biologiques impossibles à contester".

"Pour le moment, celles qui ont été violées se cachent car elles n'ont pas de preuves", rappelle l'enquêteur, qui espère ouvrir la voie à une nouvelle ère de justice pour les nombreuses victimes de viol, dont la parole a souvent peu de poids face aux dénégations des agresseurs.

Mais la justice devra malheureusement attendre encore un peu.

Cinq échantillons d'ADN sont pour l'heure stockés dans les trois congélateurs flambant neufs - qui peuvent en contenir des milliers - de ce laboratoire financé en partie par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) et mis à disposition de la police régionale du Puntland.

Le premier échantillon est arrivé début 2018 au bout d'un coton-tige. Il a été prélevé sur les sous-vêtements d'une femme violée du village de Galdogob, emballé dans du papier et transporté sous une chaleur de plomb jusqu'à Garowe, 250 kilomètres de piste plus loin, où deux machines essentielles à leur analyse ne sont, elles,... pas encore arrivées.

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Pour Abdirashid Mohamed Shire, chef du laboratoire qui dispose d'une équipe de quatre techniciens prêts à travailler, l'arrivée de ces machines - prévue début avril - est cruciale pour que "justice soit rendue à temps".

Car si les échantillons peuvent être conservés des années, la loi somalienne autorise la détention d'un suspect de viol pour un maximum de 60 jours.

Ce délai arrive bientôt à terme dans l'affaire de Galdogob, offrant deux options aux autorités: l'ouverture d'un procès avant expiration de ce délai, mais sans les analyses médico-légales, ou la libération du suspect en attendant les résultats du laboratoire, avec le risque qu'il s'évapore dans la nature.

Affaires "bidouillées"

L'absence de matériel est toutefois l'arbre qui cache la forêt, car même une fois analysé, l'échantillon de Galdogob verra sans le moindre doute sa recevabilité contestée devant un tribunal: il a mis cinq jours pour rejoindre le laboratoire, durant lesquels il a été conservé dans des conditions déplorables.

"Il va falloir sérieusement réfléchir à la manière dont la traçabilité (des échantillons, ndlr) va pouvoir être garantie dans ce genre de cas", estime Antonia Mulvey, une avocate pour l'ONG kényane de défense des droits de l'Homme Legal Action Worldwide.

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Plus fondamentalement, les observateurs pointent du doigt l'inefficacité d'une police somalienne gangrenée par la corruption comme principal obstacle à la justice.

Selon un conseiller juridique du ministère de la Justice du Puntland, requérant l'anonymat, les policiers "bidouillent" les affaires en échange de pots-de-vin. "Ce que je crains, c'est qu'avec ce système de corruption, on ne peut garantir le succès du laboratoire", assure-t-il.

"Investir dans le laboratoire, c'est bien, mais il faut (aussi) penser à l'environnement dans lequel on opère", ajoute le conseiller.

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L'UNFPA forme les policiers aux enquêtes sur les violences sexuelles ou à la manière de prélever des échantillons.

Mais pour le conseiller juridique, cet effort doit inclure une vision à long terme posant la question de la volonté et de la capacité des autorités de ce pays miné par les attaques des islamistes shebab, à prendre le relais de l'ONU.

"C'est beaucoup plus compliqué que simplement former la police, c'est aussi une question d'engagement de la part des autorités", dit-il. "L'UNFPA peut former la police, mais qui va payer ceux qui sont formés ? Et est-ce qu'ils auront les moyens de faire ce travail ?"

Avec AFP