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Vu de France, prudence et circonspection sur une monnaie unique ouest-africaine


Le CFA utilisé comme monnaie unique dans huit pays de l'Afrique de l'Ouest et émise par la BCEAO.
Le CFA utilisé comme monnaie unique dans huit pays de l'Afrique de l'Ouest et émise par la BCEAO.

Face à l'accélération du calendrier en vue de créer l'eco, une monnaie commune aux pays d'Afrique de l'Ouest, analystes et responsables français observent avec prudence et circonspection l'éventuel lancement de cette devise qui sonnerait le glas du franc CFA dans cette région.

Officiellement, pas question pour la France de venir s'immiscer dans les affaires souveraines des quinze membres de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui se sont mis d'accord fin juin pour l'adoption d'une monnaie unique.

Le gouvernement français se refuse d'ailleurs à commenter ce projet, que les chefs d'Etat ouest-africains espèrent lancer dès l'année prochaine.

"La création d'une nouvelle zone monétaire en Afrique est une décision qui appartient aux pays concernés. C'est en outre au pouvoir politique de décider, et non aux banques centrales", estime Sylvie Goulard, vice-gouverneur de la Banque de France.

A l'heure actuelle, les monnaies au sein de la Cédéao se divisent en deux camps : huit pays qui utilisent le franc CFA, dont la parité fixe est arrimée à l'euro, et sept autres avec autant de devises qui ne sont pas convertibles entre elles.

Etabli en 1945, une quinzaine d'année avant l'indépendance des colonies françaises, la valeur du franc CFA est aujourd'hui indexée sur l'euro (1 euro = 655,96 francs CFA) ce qui maintient les économies africaines dans la dépendance de la politique monétaire européenne.

Les Etats africains doivent par ailleurs déposer 50% de leurs réserves en France. En contre-partie, leur convertibilité illimitée avec l'euro leur donne une crédibilité internationale.

Sur la table depuis des décennies, la question d'une devise unique dans la région a longtemps suscité les réticences du Nigeria, qui exigeait que l'éventuelle monnaie commune soit déconnectée du Trésor français.

Avec l'eco, "on aurait une devise flottante, on sortirait de la parité fixe qui existe dans la zone franc et cela pose la question de la convergence entre les différentes devises actuelles de la zone", souligne Ruben Nizard, économiste spécialiste de l'Afrique chez l'assureur Coface.

"L'alternative à la garantie du Trésor serait une règle pour convaincre que le taux de change ne va pas dériver", propose François Faure, responsable risque pays à la BNP, spécialiste des pays émergents.

- Difficile convergence -

Régulièrement épinglé pour son "néo-colonialisme", le franc CFA et sa parité arrimée à l'euro offrent cependant une certaine stabilité aux économies qui l'utilisent.

"Une monnaie stable représente un avantage pour les exportateurs, importateurs et investisseurs en limitant les risques de change. C'est un facteur positif pour le développement économique des pays concernés qui ont besoin d'investissements matériels et immatériels pour la croissance et l'emploi", note Sylvie Goulard.

Même son de cloche pour François Sporrer, chef du service économique régional pour l'Afrique de l'Ouest au Trésor français, qui rappelle que le franc CFA permet d'éviter "un pouvoir d'achat amputé par une inflation galopante".

Pour les observateurs, lancer l'eco dès 2020 semble un plan très ambitieux tant les obstacles restent importants.

Les Etats membres de la Cédéao eux-mêmes restent prudents en proposant une "approche graduée (pour l'adoption) de la monnaie unique en commençant par les pays qui atteignent les critères de convergence".

Problème : rares sont les pays qui respectent trois critères clés à savoir moins de 3% du Produit intérieur brut de déficit, moins de 10% d'inflation et une dette inférieure à 70% du PIB.

Et les disparités entre les économies de la zone restent immenses, la plupart des pays étant par exemple bien moins puissants que le Nigeria, gros exportateur de pétrole.

"Le Nigeria pèse 2/3 du PIB de la zone, la moitié de sa population, il faudra savoir comment mener une politique monétaire avec un pays aussi dominant", souligne Ruben Nizard.

"Une souveraineté monétaire, ça se construit, ça ne se décrète pas. Il faut qu'il y ait un rationnel économique derrière", tranche François Faure.

Mais même si l'eco voit le jour, le franc CFA ne disparaîtra pas du continent pour autant. Son utilisation n'est pas encore remise en cause dans les six pays d'une autre union monétaire, la Cemac, en Afrique centrale.

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