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Le coronavirus fait des ravages dans les prisons camerounaises


Quelques détenus de la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, au Cameroun, le 23 juillet 2019. (Photo: M. Kindzeka/VOA)
Quelques détenus de la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, au Cameroun, le 23 juillet 2019. (Photo: M. Kindzeka/VOA)

Le matin du 24 avril, Fritz Takang est devenu si essoufflé qu'il pouvait à peine traverser la cellule exiguë qu'il partageait avec 60 autres détenus à la prison principale de Yaoundé, la capitale du Cameroun.

Cette nuit-là, relate-t-il, il a été évacué avec cinq autres personnes vers un complexe d'appartements qui était utilisé pour mettre en quarantaine les cas suspects de la maladie COVID-19.

Vers l'aube, M. Takang, 48 ans, a entendu un codétenu en détresse dans une pièce voisine. Comme les médecins ne venaient pas il s'est rendu au chevet de l'homme et a posé une main sur son front fiévreux. Quelques instants plus tard, l'homme est mort.

"J'ai prié pour lui avant qu’il rende son dernier souffle", dit M. Takang, qui est un pasteur. "J'ai demandé à Dieu d'adoucir sa douleur."

Les prisons du monde entier ont été un terrain fertile pour la maladie COVID-19, qui est causée par le nouveau coronavirus.

En Afrique, où on compte plus d'un million de prisonniers, les détenus sont particulièrement vulnérables en raison de la surpopulation, de la malnutrition et des soins de santé limités, selon des experts.

Au Togo, en République démocratique du Congo, en Afrique du Sud et au Kenya, les autorités ont signalé des épidémies de coronavirus dans leurs prisons.

Au Cameroun cependant, le gouvernement n'a pas reconnu publiquement les infections dans ses prisons, même si le président Paul Biya a signé un décret le 15 avril pour désengorger les lieux de détention afin de contenir le virus.

Environ 1 800 détenus camerounais ont été libérés le 8 mai, selon les chiffres préliminaires du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Le gouvernement n'a pas fourni de chiffres.

Des centaines de cas de COVID-19 ont été enregistrés parmi les détenus libérés des cinq prisons de la région centrale du Cameroun en avril, selon des données confidentielles du gouvernement vues par Reuters.

Certains ont été autorisés à rentrer chez eux avant l'arrivée des résultats de leurs tests, tandis que d'autres ont été relâchés avec peu ou pas de dépistage.

La prison centrale de Yaoundé, où le pasteur Takang est détenu, a été la plus touchée, selon les données. La prison n'a pas répondu aux demandes de commentaires.

Derrière ses murs moisis, le virus semble avoir balayé des cellules sordides et surpeuplées, submergeant son infirmerie mal équipée, selon des entretiens avec plus d'une douzaine de détenus actuels et anciens, quatre responsables de la prison et deux avocats.

Certains ont demandé à ne pas être identifiés par crainte de représailles.

Les prisonniers ne sont pas officiellement autorisés à posséder des téléphones, mais beaucoup en ont.

Plus de 31 détenus y sont morts depuis début avril, contre un ou deux par mois habituellement, a déclaré à Reuters un haut responsable de la prison, ajoutant qu'aucun n'avait été testé pour la maladie COVID-19.

Un porte-parole du ministère de la santé camerounais a refusé de commenter, tout comme des responsables de l'administration pénitentiaire et un responsable de la lutte contre les coronavirus. Les ministères de la justice et des communications n'ont pas répondu aux questions envoyées via Whatsapp, par courriel et en personne.

Deux sources présentes lors de récents briefings du ministère de la santé qui n'étaient pas ouverts à la presse ont déclaré que le gouvernement a fait des efforts pour endiguer la propagation du virus dans les prisons, souvent en luttant avec des ressources et une main-d'œuvre limitées.

"Je suis sûr qu'un millier de personnes sont infectées", a déclaré M. Takang depuis un lit d'isolement à l'hôpital de l'église presbytérienne camerounaise de Yaoundé, où il a été emmené le 25 avril. "Vous ne pouvez pas quitter votre chambre sans croiser une centaine de personnes. C'est une horreur".

Une " bombe à retardement "

La population carcérale dépasse la capacité d'accueil des prisons dans 42 des 47 pays et territoires africains pour lesquels des données sont disponibles, selon le World Prison Brief, une base de données compilée par l'Institute for Crime and Justice Policy Research (ICPR) à Birkbeck, Université de Londres.

En Europe, les prisons sont surpeuplées dans 17 des 57 pays et territoires.

"C'est une bombe à retardement. Les prisons en Afrique ont déjà du mal à fournir les normes sanitaires les plus élémentaires", a déclaré Catherine Heard, directrice du Programme mondial de recherche sur les prisons à la CIPR.

Le Cameroun compte environ 15 000 cas confirmés de coronavirus, l'un des pires taux d'infection en Afrique subsaharienne, avec plus de 350 décès.

Sur les 832 échantillons prélevés sur des détenus libérés de cinq prisons en avril, 358 se sont révélés positifs au COVID-19, selon les données gouvernementales confidentielles.

La majorité des échantillons positifs provenaient de la prison centrale de Yaoundé, la plus grande du Cameroun, où le taux d'infection des détenus libérés et testés était de 58%. Sa population est toujours d'environ 3 000 détenus, soit trois fois sa capacité d'accueil, a déclaré un haut responsable de la prison.

Beaucoup de ceux qui ont été testés positifs ont été mis en quarantaine.

Mais des dizaines d'entre eux ont été autorisés à rentrer chez eux avant que leurs résultats ne soient connus ou sans avoir été testés, selon trois prisonniers libérés en avril et mai, et un gardien qui a supervisé les libérations.

"J'ai signé mes papiers de libération ; ils ont ouvert les portes et nous ont laissé sortir", a déclaré un détenu qui a dit avoir été libéré le 22 mai avec 15 autres sans avoir été testé.

D'autres ont fui la quarantaine, a déclaré le gardien. Il ne pouvait pas dire combien.

Craintes d’une hécatombe

Le pasteur Takang a passé deux semaines à l'hôpital avant de retourner en prison. Fervent partisan du mouvement séparatiste anglophone du Cameroun, il est détenu depuis plus d'un an, accusé d'avoir parrainé le terrorisme, ce qu'il nie. Son procès est en cours.

Le résultat de son test COVID-19, vu par Reuters, est négatif. Mais il a été déclaré positif pour la malaria et la typhoïde, a-t-il précisé.

Pendant qu'il était à l'hôpital, les détenus et le personnel de la prison ont déclaré avoir remarqué un nombre inhabituel de personnes souffrant de toux et de fièvre. Les détenus ont coupé des draps et de vieux t-shirts pour faire des masques, ont-ils dit.

"Il y a la peur partout. Tout le monde a le sentiment d'être le prochain", a déclaré Mancho, un détenu de 36 ans joint par téléphone.

L'infirmerie de la prison, composée d'une douzaine de lits en métal avec des matelas fins, est supervisée par un médecin et quelques infirmières. Tous débordés.

A la mi-avril, les patients étaient allongés à trois sur un lit, selon trois détenus qui y étaient soignés. Les patients achetaient des médicaments à l'extérieur de la prison - s'ils pouvaient se le permettre.

Fin avril et début mai, les autorités ont désinfecté les cellules et ont mis fin aux visites à la prison, selon le personnel et les détenus.

Les détenus, le personnel de la prison et leurs familles ont reçu la chloroquine, médicament antipaludique qui pourrait aider dans certains cas contre le coronavirus. Son efficacité n’a pas été établie de façon catégorique.

Depuis, les prisonniers ont été dotés de masques jetables, des seaux d'eau et de savon. Mais le surpeuplement rend impossible la distanciation sociale.

Dans certains secteurs de la prison, des centaines d'hommes partagent une fosse faisant office de latrines. Des dizaines d'entre eux sont entassés dans des cellules de 25 mètres carrés.

"J'ai de la chance d'être dans une pièce avec seulement 15 personnes. Dans certaines cellules, il faut marcher sur des corps (endormis) pour en sortir", dit le pasteur Tse.

Lorsqu'un détenu meurt, sa famille a 24 heures pour récupérer le corps, a déclaré un haut fonctionnaire de la prison.

Sur les 31 personnes qui sont mortes en avril et mai, quatre seulement ont été récupérées. Les autres ont été emmenées par les autorités pour être enterrées dans l’anonymat.

Les décès continuent, mais le personnel se lasse de compter les morts.

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