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Peur du coronavirus au Cameroun anglophone déjà ravagé par le conflit séparatiste


Des bus brûlés à la gare routière suite à des affrontements entre des séparatistes anglophones et les forces de sécurité à Buea au Cameroun le 10 juillet 2018.
Des bus brûlés à la gare routière suite à des affrontements entre des séparatistes anglophones et les forces de sécurité à Buea au Cameroun le 10 juillet 2018.

Si Augustine venait à tomber gravement malade du coronavirus, il lui faudrait faire cinq heures de voiture et de pirogue, dans un Cameroun anglophone ravagé par un sanglant conflit séparatiste, pour atteindre un centre de santé. 

Il faudrait d'abord "prier très fort", résume-t-il, fataliste.

Augustine habite Ekondo un village du Sud-Ouest, l'une des deux régions, avec le Nord-Ouest, où se concentre l'essentiel de la minorité anglophone du Cameroun, majoritairement francophone. Là, depuis plus de trois ans, des combats meurtriers opposent l'armée à des groupes indépendantistes anglophones et de nombreux civils périssent en raison de multiples exactions et crimes commis par les deux camps, selon les ONG internationales et l'ONU.

Plus de 3.000 personnes ont été tuées et quelque 700.000 forcées à fuir leur domicile depuis 2017, la guerre réduisant à néant les infrastructures sanitaires.

Les populations sont à la merci des maladies et, donc, du coronavirus qui a, jusqu'alors, avec une trentaine de cas déclarés, relativement épargné ces deux régions du Cameroun, pourtant le troisième pays le plus touché d'Afrique par la pandémie avec 64 décès pour plus de 2.000 cas officiellement enregistrés.

Alors, dans le village d'Augustine, on "essaye comme on peut d'appliquer les gestes barrière car il faut tout faire pour éviter que le virus n'arrive", explique-t-il au téléphone, contacté par l'AFP depuis Libreville.

- 115 centres de santé détruits-

En tout, 115 centres de santé ont été détruits depuis le début du conflit, selon le gouvernement. Les attaques contre les infrastructures sanitaires et leur personnels y sont fréquentes, dénoncent régulièrement l'ONU et les ONG. L'expansion de l'épidémie y aurait des conséquences tragiques. Surtout dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et où le gouvernement n'a jamais imposé les mesures drastiques de confinement que bien d'autres Etats du continent ont mises en oeuvre.

Yaoundé a même récemment autorisé les restaurants et les boîtes de nuit à rouvrir et la circulation entre les grandes villes fortement touchées et les provinces rurales sont toujours possibles...

"Il n’y aura pas assez de personnel soignant, d’ambulances, de routes ni même de morgues", redoute Sarli Nana, responsable d'une ONG soutenant les déplacés anglophones. "De nombreux professionnels de santé ont été chassés" par le conflit et, dans les rares centres de soins encore ouverts, "on manque d'équipements, de médicaments, d'eau et d'électricité", déplore-t-il.

- Camps dans la brousse -

Les humanitaires craignent surtout que le virus n'atteigne les camps de fortune dans la forêt équatoriale. Des milliers de civils fuyant les combats y ont trouvé refuge, "sans eau, ni accès aux soins, dans des conditions de vie catastrophiques", s'inquiète Marc Serna Rius, coordinateur de l'ONG locale Reach Out.

"Cachés dans la brousse, ils sont les plus vulnérables, notamment un grand nombre de personnes âgées qui n'ont pas pu fuir plus loin", ajoute-t-il.

En outre, avec l'insécurité, l'accès à ces zones est très difficile pour les humanitaires.

En dépit de l'appel lancé le 23 mars par l'ONU à un "cessez-le-feu mondial" dans les zones de guerre pour mieux combattre la pandémie, le crépitement des armes à feu se fait toujours entendre au Cameroun anglophone.

Un seul groupe séparatiste a annoncé une trêve, les autres ont largement ignoré cet appel. Tout comme l'armée.

"Rien n’a vraiment changé", lâche M. Nana. "Les séparatistes et l’armée continuent de lancer des attaques. Les habitants continuent d'être la cible d'assassinats et de fuir", déplore-t-il.

"Plusieurs attaques séparatistes" ont été répertoriées depuis fin mars, renchérit Blaise Chamango, à la tête d'une ONG dans le Sud-Ouest. Et, ce week-end, les militaires ont lancé une offensive contre un camp séparatiste à Bafut, dans le Nord-Ouest.

Le gouvernement, qui a jusqu'ici échoué à ramener la paix, a annoncé fin mars un projet de reconstruction sur deux ans prévoyant notamment la réhabilitation d'écoles, de points d'eau, de milliers de maisons et de centres de santé, pour 90 milliards de francs CFA (136,5 millions d'euros).

Mais d'ici là, face au coronavirus, les habitants du village d'Augustine ne peuvent que "prier très fort"...

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