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Les victimes oubliées du conflit entre Pygmées et Bantous en RDC


Un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.
Un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.

"Retour vers l'enfer", "point de non retour", "catastrophe" : les superlatifs ne manquent pas pour attirer l'attention du monde sur la situation sécuritaire et humanitaire en République démocratique du Congo, à l'approche d'une conférence humanitaire le 13 avril.

Ces mots prennent tout leur sens sur les rives du lac Tanganyika (sud-est), où des dizaines de milliers de déplacés ont fui un conflit communautaire oublié entre Bantous (population africaine majoritaire) et milices de la minorité pygmée : selon les sources, de 500.000 à 650.000 personnes ont été déplacées au plus fort des violences en 2016-2017.

Autour de la capitale provinciale Kalemie, posée entre les eaux calmes du lac et la plaine fertile de la Rugumba, 67.000 déplacés bantous survivent dans 12 camps, traumatisés par les brutalités des pygmées: raids, pillages, villages incendiées, femmes enceintes éventrées, blessures par flèches...

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Kavambu Sidiki occupe seul une des centaines de huttes couvertes de bâches blanches du plus grand des camps, Katanika, qui s'étend sur des collines rouge ocre.

L'infirmier de 62 ans, expert dans le diagnostic de la trypanosomiase (maladie du sommeil), rend visite à ses quatre enfants chaque samedi à Kalemie où ils vivent chez une tante, pour éviter les risques de choléra dans le camp.

Un homme marche dans un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.
Un homme marche dans un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.

Sa femme de 45 ans, Marcelina Kisumbole, est morte enceinte de six mois - éventrée, dit-il, par des pygmées qui ont attaqué leur village de Lambo près de Moba.

"Les pygmées sont arrivées dans notre village vers minuit. Tout le monde s'est dispersé. J'ai sauté par la fenêtre... La femme n'a pas fui complètement. Alors ils l'ont capturée et ils l'ont tuée", raconte Kavambu Sadiki, au bord des larmes et la gorge nouée. Il affirme avoir vu le corps et le fœtus à son retour sur les lieux du drame.

De la haine ? "Avec les pygmées, on va se pardonner".

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"J'avais ma fille qui a été tuée, elle était enceinte", affirme aussi dans une autre allée du camp une vielle dame, Kimpwa Kya Kaswende.

Un autre assistant médical, Emery Lumumba, se précipite pour raconter son dénuement.

"Pitié! On a été tabassés par des pygmées. Nous souffrons amèrement", lance l'homme né en 1968 en ouvrant la bouche pour montrer l'incisive qui lui manque - et que les pygmées lui ont arrachée, affirme-t-il.

"Nous venons de totaliser au moins une année dans la souffrance. Nos femmes se lèvent tôt pour chercher un peu à manger. Nous, nous sommes chômeurs. Qu'allons-nous faire ? Assistez nous !", lance-t-il.

Des enfants jouent dans les ruines d'un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.
Des enfants jouent dans les ruines d'un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.

Violence indescriptible

Les camps reçoivent de l'aide. Le Programme alimentaire mondial (PAM), soutenu par des fonds de l'Union européenne, distribue tantôt de la farine, tantôt de l'argent.

Une aide jamais suffisante. Les humanitaires se plaignent régulièrement du manque de moyens en RDC. Les yeux sont tournés vers Genève où une "conférence des donateurs" est prévue le 13 avril.

A 18 km de Kalemie, les pygmées ont attaqué dans la plaine sous les palmiers le village de Mama Kasanga "le samedi 29 avril (2017) à 8h47 du matin", se souvient très précisément Claude Kampala, un notable bantou.

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"On ne sait pas pourquoi ils ont incendié cette maison", raconte-t-il en se tenant devant les ruines d'une famille qui a fui vers Kalemie.

Claude Kampala s'est lui-même réfugié pendant six mois dans la capitale provinciale avant de revenir en octobre, comme Jean-Claude Moket, un habitant pygmée.

"Les pygmées nous ont même menacés, nous, leurs propres frères. Nous avons fui sans rien récupérer. Nous n'avons pas soutenu cet acte de nos frères pygmées", explique-t-il en swahili.

Des jeunes Congolais dans un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.
Des jeunes Congolais dans un camp de déplacés internes, à Kalemie, le 20 mars 2018.

"Les gens cohabitaient ensemble. On n'a pas compris pourquoi le conflit a éclaté à partir de 2016 avec une violence indescriptible", affirme Richard Ngoy Kitangala, gouverneur de la province du Tanganyika, le fief du président congolais Joseph Kabila.

Le gouverneur énonce les revendications des pygmées: ne plus dépendre des chefs bantous, accès aux postes de responsabilités et aux terres - et possibilité d'épouser des femmes bantous.

"Ce sont des revendications fondées mais nous avons déploré la violence qui ont accompagné ces revendications", insiste M. Ngoy Kitangala, en recevant une délégation de l'Union européenne et de l'Ocha, le bureau des Affaires humanitaires des Nations unies.

"Quand le conflit était virulent, nous avions jusqu'à 500.000 personnes déplacées dans la province. Cela a commencé a reculé un petit peu", selon l'officiel. "Au mois de février dernier, on a organisé un grand forum. Nous avions invité les leaders pygmées. Nous avons fumé le calumet de la paix".

Pas assez pour convaincre tous les déplacés de rentrer chez eux. "Non, la paix n'y est pas. Les pygmées continuent à menacer et à tuer les gens", affirme Pierrot, originaire d'un village à 40 km de Kalemie.

Avec AFP

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