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Les déplacés du fleuve Oubangui en Centrafrique


Des jeunes marchent près du fleuve Oubangui, à Bangui, le 21 février 2014.
Des jeunes marchent près du fleuve Oubangui, à Bangui, le 21 février 2014.

En saison sèche, le fleuve Oubangui, qui borde le sud de la Centrafrique, se tarit, dévoilant son vaste lit où émerge un réseau d’îles éphémères, habituellement désertes.

Mais en cette fin février, sur plusieurs kilomètres, ces ilots sont coiffés de dizaines de huttes en paille et de bâches tendues: des centaines de pêcheurs s'y sont installés, fuyant les milices anti-balaka qui les harcèlent 300 km en amont du fleuve, dans la sous-préfecture de Satema, dans le sud-est du pays.

"J'habitais dans le village de Libanga. Je suis venu ici en décembre, car quand les autodéfenses (milices antibalaka) sont arrivés, le mal est revenu" explique Matthias Kongba, délégué des pêcheurs déplacés dans ce village, en réparant les mailles de son filet de pêche.

Il s'explique: "les antibalaka faisaient les braquages, la torture, le crime chez nous à Satema. Nous avons fui au Congo, en catastrophe".

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Matthias, qui a laissé en République démocratique du Congo (RDC) sa femme et ses neuf enfants, est retourné pêcher sur le fleuve, au niveau de son village, avant de se résoudre à descendre en aval.

Comme lui, ils sont près de 500 à s'être installés sur ce seul et même ilot qui fait face au village de Bagobolong 2. Ils ont dû fuir des antibalaka emmenés par leur chef Joseph Korogo, qui vivent en grande partie de pillages et qui considéraient les pêcheurs comme une ressource en vivres, mais aussi en hommes.

"Ils sont venus progressivement, entre décembre et janvier. Ils se sont installés entre ici et Zawara", détaille François Kokayeke, chef du village de Bagobolong 2, à 80 km à l'est de Bangui.

C'est la première fois qu'il voit des pêcheurs s'installer sur l'île en face de son village.

Vaccinés pour le combat

"Les antibalaka attrapent les pirogues. Ils veulent nous +vacciner+, quand tu refuses, ils +vaccinent+ de force" raconte Matthias, la voix gonflée de colère.

Pour les antibalaka de la région de Satema, la "vaccination" consiste à scarifier plusieurs parties du corps au cours d'une cérémonie, censée rendre la personne invincible aux balles.

"Si on va à la pêche, les antibalaka nous prennent les poissons, nous fouettent et nous obligent à nous vacciner. C'est pour nous forcer à combattre avec eux!", abonde Aran Bambindo, un autre pêcheur déplacé sur l'île en face de Bagobolong 2.

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Lui aussi a dû fuir, après que les antibalaka eurent pillé et brulé les maisons de son village, Satema.

"Avant la 'vaccination', on t'attache, on te donne du chanvre. Ça dure trois heures. Parfois certains acceptent de combattre avec eux après. Ceux là 'vaccinent' aussi leurs enfants", détaille Aran.

"D'autres refusent et fuient" ajoute-t-il, en désignant du doigt son neveu, qui garde le silence, les yeux baissés. Lui ne dira rien. Les dizaines de cicatrices qui strient ses bras, son torse et son dos racontent mieux son calvaire que n'importe quel mot.

Mauvaise pêche

Sur la berge en face de l'île, le chef du village de Bagobolong 2, vient de rentrer de la pêche, le regard sage, l'allure fière, mais le filet presque vide.

"La pêche n'est pas bonne car il y a beaucoup trop de pêcheurs maintenant. Certains utilisent les filets à petites mailles qui attrapent les petits poissons, donc ça diminue encore les réserves", explique-t-il calmement.

"Mais c'est à cause de la pauvreté!", rétorque Matthias. "On ne peut pas bien manger, on a n'a pas d'eau potable, pas de soin, pas assez de matériel de pêche", ajoute-t-il.

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De fait, aucune ONG ne vient en aide à ces pêcheurs qui se sont fait voler leurs filets aux postes des groupes armés installés le long du fleuve.

L'association des pêcheurs de Bagobolong 2 a bien tenté de distribuer ses filets inutilisés, mais les nouveaux arrivants sont trop nombreux, selon l'association.

Incapables de pêcher, certains attendent, au pied de leur hutte, sans savoir où ils iront quand les îlots disparaitront sous le fleuve, en mai, lors du retour de la saison des pluies.

En attendant, les déplacés de l'Oubangui s'ajoutent aux quelque 694.000 déplacés en Centrafrique, selon un décompte de l'ONU en 2017.

Avec AFP

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