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Le nationaliste Farmajo condamné à l'équilibrisme en Somalie


Le nouveau président élu Mohamed Abdullahi Mohamed Farmajo, à l'aéroport de Mogadishu, en Somalie, le 8 février 2017.
Le nouveau président élu Mohamed Abdullahi Mohamed Farmajo, à l'aéroport de Mogadishu, en Somalie, le 8 février 2017.

Les scènes de liesse ayant suivi à Mogadiscio l'élection du président Mohamed Abdullahi Mohamed Farmajo, ne mentent pas : il jouit d'une véritable popularité auprès des Somaliens, qui se souviennent d'un Premier ministre à poigne, au discours nationaliste et au style direct.

Mais, estiment les analystes, les qualités que lui reconnaît le peuple sont précisément celles qui pourraient l'empêcher de relever les défis qui l'attendent à la tête de cet Etat fédéral embryonnaire miné par les attaques des islamistes shebab, gangréné par la corruption, traversé de rivalités claniques et porté à bout de bras par la communauté internationale.

Pourquoi est-il populaire?

Lorsqu'il est Premier ministre - huit mois en 2010 et 2011-, son discours nationaliste assumé et sa volonté d'améliorer la gouvernance font mouche auprès du peuple: il réduit le nombre de portefeuilles ministériels, interdit les voyages non essentiels des membres du gouvernement à l'étranger et amorce un début de lutte contre la corruption.

Son arrivée coïncide en outre avec une amélioration de la situation sécuritaire à Mogadiscio. Les shebab ont été contraints de se retirer de la capitale en août 2011 "mais c'est sous Farmajo que cette victoire s'est construite", note Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales de l'institut parisien de Sciences Po.

Mohamed Farmajo est aussi très populaire au sein de l'armée, car son gouvernement paye à l'époque régulièrement les salaires des soldats.

Mais, selon Rashid Abdi, spécialiste de la Corne de l'Afrique pour l'International Crisis Group, "il y a plusieurs risques liés au style de leadership qui était le sien lorsqu'il était Premier ministre". Et Abdirashid Hashi, directeur de l'Heritage Institute de Mogadiscio, estime que "les attentes à son égard sont démesurées: les problèmes qui minent la Somalie depuis trois décennies ne vont pas disparaître subitement avec son arrivée".

Un nationalisme problématique?

Mohamed Farmajo dirige désormais une Somalie régie par une constitution provisoire. A ce titre, une de ses tâches principales est de bâtir les structures d'un Etat qui n'en sont qu'au stade d'embryon (armée nationale, commission électorale crédible, collecte d'impôts, Banque centrale, etc.)

"L'erreur fatale des précédents présidents a été de croire qu'ils pouvaient gouverner parce qu'ils avaient un titre", affirme Matt Bryden, président du think tank Sahan, spécialiste de la Somalie, notant que le gouvernement peine à imposer son autorité au-delà de la capitale.

Farmajo est partisan d'un Etat central fort mais la structure qui a émergé ces dernières années est celle d'un Etat fédéral. Et la construction de l'Etat implique de négocier avec les puissantes entités fédérées (Puntland, Jubaland, Galmudug, etc) pour finaliser la constitution, définir le fédéralisme somalien et surtout, stabiliser le pays.

"Les Etats fédérés ne peuvent être ignorés, car même si la plupart sont embryonnaires eux aussi, ce sont eux qui ont une présence sur le terrain. Ils collectent des taxes et contrôlent les forces paramilitaires qui combattent les shebab", estime M. Bryden.

Quelle attitude vis-à-vis de l'Ethiopie?

Farmajo est connu pour ses prises de positions relativement hostiles vis-à-vis du puissant voisin éthiopien. Son élection, par le parlement, n'est d'ailleurs pas étrangère à l'émergence de nombreux jeunes députés agacés par l'influence qu'Addis Abeba a ou tente d'avoir dans les affaires somaliennes, estiment les observateurs.

"Mais en Somalie, tous ceux qui ont été hostiles à l'Ethiopie ont eu des problèmes", note Rashid Abdi. "S'il veut réajuster les relations Somalie-Ethiopie, il va devoir le faire prudemment. Mais s'il reprend la vieille rhétorique anti-éthiopienne, il va vite déchanter".

Les "punitions" éthiopiennes pourraient inclure un retrait militaire de certaines zones fragiles ou un soutien accru aux entités fédérées hostiles au gouvernement central, selon les analystes.

Le président a-t-il appris sa leçon ?

Si Farmajo était populaire auprès du peuple en tant que Premier ministre, son style d'homme à poigne relativement intègre, dans un pays gangréné par la corruption, avait dérangé la vieille garde politique qui s'était fort bien accommodée de son éviction au bout de huit mois.

Mais son élection surprise à la présidence - au terme d'un processus électoral entaché de corruption selon les observateurs - "montre qu'il a peut-être appris sa leçon", estime Rashid Abdi, notant que Farmajo a dû, pour être élu, louvoyer entre les rivalités claniques et les luttes d'influence.

"Ces derniers jours, il a mené de nombreuses consultations", notamment pour la nomination à venir de son Premier ministre. "Cela ne ressemble pas à quelqu'un qui va prendre des décisions à la hâte ou agir comme un perturbateur".

Avec AFP

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