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Le business des "faiseurs de miracles" contre le sida au Nigeria


Un bénévole organise les tests HIV à Ypougon, un quartier d'Abidjan, le 28 septembre 2009.
Un bénévole organise les tests HIV à Ypougon, un quartier d'Abidjan, le 28 septembre 2009.

Blessing a voulu y croire. Au-delà du bon sens, parce que c'était son "dernier espoir". En voyant une annonce sur Facebook qui promettait de la guérir du sida, elle a cliqué. Et bien failli se laisser avoir.

C'était il y a quelques mois. Cette Nigériane de 30 ans - son prénom a été changé - crée alors un faux profil sur le réseau social, et prend contact avec ce "guérisseur traditionnel" très bien connecté aux nouvelles technologies.

Pour 100.000 nairas (232 euros), on lui propose une potion à base de plantes qui éradiquera "à 100%" la maladie. La jeune femme hésite, demande à rencontrer en personne son bienfaiteur. Avant de se heurter à une réponse claire: il lui envoie son numéro de compte bancaire.

"Il n'a parlé que d'argent, alors j'ai laissé tomber...", raconte-elle à l'AFP d'une voix douce. "Mais j'étais prête à essayer. Il y avait tellement de commentaires qui disaient que ça avait marché".

Grâce à son traitement anti-rétroviral - gratuit au Nigeria -, Blessing a pu terminer ses études de sociologie à Abuja, se sent plutôt "à l'aise" au quotidien et fait "des affaires". Le plus insupportable pour elle est la certitude de ne pas pouvoir trouver de petit-ami.

"J'étais désespérée. Toutes les relations que j'ai voulu avoir ont été compliquées", raconte-t-elle à l'AFP, avant de lâcher: "je sais qu'il faut que j'apprenne à vivre avec le virus".

Au-delà des pièges d'Internet, le désespoir et la stigmatisation qui accablent les séropositifs en font des cibles de choix pour les "faiseurs de miracles" en tous genres dans ce pays très croyant de 180 millions d'habitants.

Pas un mois ne passe au Nigeria sans qu'un pasteur annonce avoir "sauvé" un fidèle. A Lagos, les malades affluent de tout le continent dans des églises évangéliques aussi imposantes que des centres commerciaux, attirés par les promesses de prédicateurs sans scrupules.

L'un des plus connus - et des plus controversés - est TB Joshua, à la tête de la Synagogue Church of All Nations (Scoan) et d'une fortune estimée à plusieurs millions d'euros, qui se targue d'avoir guéri des malades du sida et même "ressuscité" des morts.

Son site internet est plein de témoignages rapportant les supposées prouesses du "prophète", comme celui-ci: Un certain "Ubon (...) a été guéri du VIH/sida grâce une prière", preuve qu'"aucune maladie ne peut échapper au pouvoir de guérison de Jésus-Christ".

'Pas de preuve scientifique'

Il y a aussi ceux qui assurent avoir trouvé "LE" remède scientifique en brandissant d'obscures revues publiant leurs travaux. L'annonce faite en début d'année par un professeur de l'Université d'Agriculture d'Abia (sud-ouest) a ainsi fait couler beaucoup d'encre dans la presse nigériane.

Après"25 ans de recherches", le Pr Maduike Ezeibe a affirmé avoir testé avec succès sur des patients un médicament qu'il a lui-même fabriqué. "Le Nigeria est ainsi le premier pays à avoir connu 10 personnes qui se sont remises du VIH/sida", déclarait-il au quotidien Guardian Nigeria en mars.

Ces affirmations ont été aussitôt condamnées par les agences de santé nigérianes qui soulignent "l'absence de preuve scientifique solide" et les conséquences dramatiques qu'elles peuvent avoir sur les malades en cas d'arrêt de leur traitement.

"Si une personne est persuadée qu'elle est guérie alors qu'au contraire, elle a toujours le virus, le risque de transmission sera plus élevé", explique à l'AFP Daniel Ndukwe, de l'Agence nationale de lutte contre le sida (Naca).

De même, certaines personnes affirmant s'être débarrassées du VIH "par guérison miraculeuse" ont ensuite connu "une détérioration de leur (état de) santé", selon M. Ndukwe, même si aucune étude formelle n'a été menée au Nigeria pour connaitre l'ampleur de ce phénomène.

Ce qui est sûr en revanche, c'est que beaucoup ont compris le potentiel de ce "marché" au Nigeria. Si le taux de prévalence chez les adultes (2,9% en 2016) est plutôt faible comparé à d'autres pays comme l'Afrique du Sud (18,9%), le nombre de personnes vivant avec le VIH - 3,2 millions - reste l'un des plus élevés du continent.

Emmanuel Ugochukwu Michael, fondateur d'une agence matrimoniale spécialisée pour les personnes vivant avec le VIH, est régulièrement approché par des gens qui s'intéressent à sa "base de données": plus de 7.000 noms et numéros de téléphone.

"Je reçois beaucoup d'appels de médecins traditionnels et surtout de pasteurs", raconte-t-il à l'AFP. "Ils m'invitent à dîner, me promettent de l'argent en échange des contacts de mes clients" pour ensuite leur proposer ses services de guérison.

"C'est beaucoup de tentation, ça me donne des insomnies", dit cet entrepreneur, qui s'est vu offrir "jusqu'à 1,5 million de nairas" mais assure avoir refusé ces propositions. "Il y a tellement d'argent à se faire, tout le monde veut en tirer profit".

Avec AFP

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