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La crise au Cameroun anglophone déborde sur son voisin nigérian


Manifestants brandissant des drapeaux de l'Ambazonie, Bamenda, Cameroun, le 1er octobre 2017.
Manifestants brandissant des drapeaux de l'Ambazonie, Bamenda, Cameroun, le 1er octobre 2017.

La crise qui secoue depuis un an le Cameroun anglophone rejaillit désormais sur le Nigeria voisin, qui a vu déferler des milliers de réfugiés fuyant les violences et où certains séparatistes partisans de la lutte armée, pourraient vouloir établir leur base-arrière.

Plus de 28.000 personnes ont ainsi traversé la frontière venant de l'ouest du Cameroun pour se réfugier dans l'Etat de Cross River (sud-est du Nigeria) depuis le mois d'octobre, selon John Inaku, le directeur général de l'Agence de gestion des urgences (Sema).

"Mais beaucoup n'ont pas encore pu être enregistrés (par les autorités nigérianes, ndlr) et ils continuent d'arriver" à pied à travers la brousse pour fuir la répression du gouvernement de Yaoundé qui semble s'intensifier, a-t-il expliqué à l'AFP.

Après des mois de protestation contre sa marginalisation politique et économique, une frange importante de la minorité anglophone du Cameroun (20% des 23 millions d'habitants) s'est radicalisée ces dernières semaines, venant grossir les rangs des sécessionnistes, dont certains prônent la lutte armée.

La situation sécuritaire s'est considérablement dégradée à mesure que les autorités camerounaises ont accru la répression des manifestations séparatistes. Dix militaires et policiers et de nombreux civils, dit-on, ont été tués depuis le 1er octobre, date à laquelle a été symboliquement proclamée l'indépendance de l'Ambazonie, leur nouvel "Etat".

Les récentes violences contre les forces de l'ordre, initiées par des groupuscules plus ou moins structurés, ont été concentrées dans des localités frontalières, entourées de forêts denses et de montagnes.

Or le gouvernement camerounais suspecte certains séparatistes d'utiliser le territoire nigérian comme base arrière et de s'y approvisionner en armes, la porosité de la frontière permettant des va-et-vient difficilement détectables.

"Une chose est sûre, les éléments les plus radicaux sont en train de recruter avec l'objectif de mettre sur pied une guérilla", affirme le colonel Didier Badjeck, porte-parole de l'armée camerounaise, joint au téléphone depuis Lagos.

Onze personnes suspectées de vouloir partir s'entraîner au Nigeria ont ainsi été arrêtées la semaine dernière dans les environs de Mamfé, au Cameroun, où des séparatistes avaient attaqué un poste de contrôle et tué quatre militaires.

- 'Même idéologie' -

"Les autorités nigérianes devraient se montrer très vigilantes", estime Nna-Emeka Okereke, spécialiste des questions stratégiques basé à Abuja.

Pour ce fin connaisseur de la région, le risque que certains séparatistes camerounais cherchent à "créer des synergies" avec des mouvements nigérians est réel, même si aucun élément concret ne permet encore de le confirmer.

L'Etat de Cross River, où affluent les réfugiés, n'est pas loin du Delta du Niger, où pullulent les armes et les groupes rebelles qui sabotent régulièrement les infrastructures pétrolières pour obtenir une meilleure redistribution des revenus de l'or noir.

Le sud-est du Nigeria est aussi le fief de groupes pro-Biafra - dont la déclaration d'indépendance unilatérale avait déclenché une guerre civile sanglante il y a 50 ans - , qui partagent une "même idéologie", un "même sentiment d'exclusion" vis-à-vis du pouvoir central, souligne M. Okereke.

Les autorités nigérianes ne se sont pas encore exprimées officiellement sur la crise à leurs portes, mais d'après un haut-gradé camerounais s'exprimant sous couvert d'anonymat, "les présidents (Muhammadu) Buhari et (Paul) Biya ont abordé la question et +le téléphone passe très bien+ entre Yaoundé et Abuja".

Le Nigeria et le Cameroun ont entretenu des relations difficiles par le passé à cause d'un différend territorial autour de la péninsule de Bakassi, riche en pétrole, mais l'accord de rétrocession à Yaoundé conclu en 2008 avait permis un rapprochement progressif. Depuis deux ans, les armées des deux pays coopèrent activement dans la lutte contre l'insurrection djihadiste de Boko Haram plus au nord, près du lac Tchad.

Pour l'heure, beaucoup craignent une escalade susceptible de provoquer de nouveaux mouvements de population vers le Nigeria. Le président camerounais, d'ordinaire très discret, a envoyé un émissaire à Abuja et convoqué une réunion de ses chefs d'état-major pour faire le point le week-end dernier, après avoir condamné les "attaques à répétition d'une bande de terroristes".

"Nous avons été patients, les consignes sont devenues beaucoup plus fermes", résume le colonel Badjeck, tout en démentant l'envoi de renforts militaires en zone anglophone. "On va aller chercher les terroristes où qu'ils se trouvent pour les neutraliser".

Une source sécuritaire a confirmé à l'AFP que "des opérations massives de l'armée (dans les régions anglophones) sont en préparation".

Avec AFP

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