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L'opposition tchadienne dénonce le soutien français à un "régime dictatorial"



Le président français Emmanuel Macron accueille le président tchadien Idriss Deby Itno à son arrivée à la conférence internationale sur la Libye à l'Elysée, le 29 mai 2018.
Le président français Emmanuel Macron accueille le président tchadien Idriss Deby Itno à son arrivée à la conférence internationale sur la Libye à l'Elysée, le 29 mai 2018.

La France affiche un soutien politique et militaire sans faille au président Idriss Déby Itno, allié clé dans la lutte antiterroriste au Sahel, au mépris de la situation des droits de l'Homme, accuse l'opposition tchadienne qui dénonce la "complicité" de Paris avec un "régime dictatorial".

La dernière visite au Tchad du chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, qui connaît de longue date Idriss Déby et lui parle très régulièrement, n'a fait qu'attiser un sentiment antifrançais désormais palpable dans ce pays, selon plusieurs observateurs.

M. Le Drian a rencontré mardi le président Déby dans son fief d'Amdjarass (Est), avant de s'entretenir à N'Djamena avec le commandant de la force antiterroriste française au Sahel Barkhane.

Le ministre français devait aussi rencontrer à N'Djamena les responsables de tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée, y compris l'opposition, pour réaffirmer son soutien pour la tenue d'élections législatives cette année, mais cette réunion a été annulée, sans explication.

"Nous déplorons l'absence de cette rencontre. Nous avons des choses à nous dire. Nous espérons que Le Drian a parlé avec Déby des élections, pour qu'elles soient libres, démocratiques et transparentes. Il faut autoriser la liberté associative et les marches pacifiques, créer un véritable climat d'apaisement", demande le chef de file de l'opposition à l'Assemblée, Romadoumngar Félix Nialbé, de l'Union pour le renouveau et la démocratie (URD).

L'opposition, divisée et faiblement représentée, dénonce le soutien de Paris à un régime autoritaire. Idriss Déby est arrivé au pouvoir par les armes en 1990 et le pays attend depuis 2011 de nouvelles élections législatives. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Whatsapp) sont fermés depuis plus d'un an, officiellement pour des raisons de sécurité.

- Pilier de la lutte antiterroriste -

"Les relations entre le Tchad et la France ne sont plus aujourd'hui une relation d'Etat à Etat. Cette relation est réduite à une question d'amitié personnelle entre Idriss Déby et le pouvoir français actuel", regrette le président de l'Union des démocrates pour le développement et le Progrès (UDP, opposition), Max Kemkoye.

"Le président Emmanuel Macron lors de son passage à N'Djamena avait refusé de rencontrer l'opposition. Aujourd'hui c'est Jean-Yves Le Drian qui refuse obstinément de rencontrer l'opposition démocratique", souligne-t-il.

Jean-Yves Le Drian entretient une relation de confiance avec Idriss Déby depuis son passage au ministère de la Défense de 2012 à 2017, sous la présidence de François Hollande. L'armée tchadienne est un pilier de la lutte antijihadiste au Sahel, un rôle qui permet à N'Djamena de redorer son image et d'obtenir des financements, directs ou indirects.

"Le Tchad, qui était considéré comme un pays en crise, est devenu au cours de ces dix dernières années une puissance militaire régionale reconnue. Cela repose pour beaucoup sur son engagement dans la guerre contre le terrorisme dans la région", rappelle Marielle Debos, chercheuse à l'université de Paris Nanterre.

"C'est la force de Déby d'avoir fait de cette situation sécuritaire un atout pour obtenir un soutien de ses alliés et pour que ceux-ci ferment les yeux sur les fraudes électorales, les pratiques peu démocratiques, une situation économique et sociale absolument terrible pour les populations", énumère-t-elle.

- Fort sentiment antifrançais -

La France n'hésite pas à renvoyer l'ascenseur, quand le régime est en difficulté sur le plan militaire. Fin janvier, des rebelles tchadiens étaient entrés depuis la Libye dans le nord-est du Tchad et des frappes aériennes françaises avaient stoppé leur avancée, Paris affirmant vouloir empêcher un "coup d'Etat".

"Déby a convaincu la France de le suivre dans une aventure militaire qui normalement ne la concernait pas. L'armée française est intervenue pour pallier un refus d'obéissance à Déby de l'armée tchadienne, qui n'était pas prête à combattre réellement ce groupe rebelle, du fait de très forts liens, y compris familiaux de ce groupe au sein de l'armée", estime Jérôme Tubiana, spécialiste du Tchad.

Cette intervention a été durement critiquée par l'opposition et la société civile tchadiennes.

"Les Français sont venus bombarder des Tchadiens pour maintenir un régime dictatorial qui s'illustre par de nombreuses violations des droits humains", s'est ainsi insurgé le président de l'Union nationale pour le développement et le Renouveau (UNDR, opposition), Saleh Kebzabo.

Les ONG dénoncent régulièrement la répression (arrestations, détentions au secret, tortures), contre les militants de la société civile.

"Il y a un sentiment antifrançais de plus en plus important, parce que le soutien militaire de la France est aussi un soutien politique direct à Idriss Déby, réélu en 2016 dans des élections contestées et alors qu'il y a un fort mécontentement contre lui", analyse Marielle Debos.

"La vie quotidienne est très dure pour les Tchadiens avec l'effondrement des prix du pétrole et la crise économique. Il y a plein de délestages d'électricité en plein ramadan, en pleine période sèche et chaude", ajoute-t-elle.

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