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L'écologie pour réconcilier paysans et éleveurs en Côte d'Ivoire


Malgré leur participation à l'école paysanne et le cacao de qualité qu'ils produisent, ces cacaoculteurs ne se réjouissent pas du fruit de leur labeur au Cameroun, le 25 mai 2017. (VOA/Emmanuel Ntap)
Malgré leur participation à l'école paysanne et le cacao de qualité qu'ils produisent, ces cacaoculteurs ne se réjouissent pas du fruit de leur labeur au Cameroun, le 25 mai 2017. (VOA/Emmanuel Ntap)

Un programme original a été lancé pour réconcilier les frères ennemis (éleveurs et agriculteurs) et aussi pour protéger le Parc national de la Comoé, classé au patrimoine mondial.

Traoré Brahima, un agriculteur, marche côte à côte avec Barry Soumaila, un jeune éleveur, près du barrage de Danoa, dans le nord-est de la Côte d'Ivoire, à quelques centaines de mètres de la frontière avec le Burkina Faso. Ils se parlent mais sont rivaux. Ici, comme dans les westerns américains, les différends entre les deux communautés sont souvent meurtriers.

En Afrique de l'Ouest et centrale, les affrontements entre éleveurs et agriculteurs, souvent nourris par des rivalités ethniques, ont fait des milliers de morts ces dernières années (Nigeria, Centrafrique, Tchad, Mali notamment).

La région de Bouna en Côte d'Ivoire a été le théâtre d'un pic de violence en mars 2016. A l'apogée de la saison sèche dans cette zone de savane, les violences entre éleveurs peuls et populations locales avaient fait 33 morts, une cinquantaine de blessés et 2.500 déplacés, d'après le bilan officiel. Un bilan qui, selon des sources locales, serait en réalité beaucoup plus lourd.

Lors de leur recherche de pâturages, les bovins abiment les cultures des populations sédentaires, Koulango (souvent propriétaires) et Lobi (souvent agriculteurs locataires), ce qui exacerbe les conflits.

Les éleveurs peuls avaient aussi tendance à emmener leurs bêtes paître dans le parc de la Comoé, surtout en saison sèche, explique le commandant D'Angouss Kissi de l'Office ivoiriren de Parcs et réserves (OIPR).

- "Apaiser la situation" -

"Notre mission, c'est de protéger le parc. Mais nous nous sommes rendu compte que la surveillance seule ne permettait pas d'endiguer les entrées illégales de bovins. Il fallait trouver autre chose", dit-il. "Il fallait trouver des pâturages et de l'eau aux bouviers (éleveurs de bovins) à l'extérieur du parc. Tout en apaisant la situation et évitant de nouveaux conflits".

Avec le soutien de l'agence de coopération allemande GIZ, qui investit 1,2 million d'euros sur quatre ans, la Côte d'Ivoire a donc lancé un programme pilote qui prévoit la réhabilitation mais surtout la gestion concertée de points d'eau (barrages) avec des comités locaux de gestion (CLG) regroupant toutes les parties prenantes: éleveurs, propriétaires, paysans locataires ainsi que les entreprises locales ou les enseignants.

A Danoa, les villageois ont aligné des chaises en plastique sur la petite place centrale couronnée par un baobab et un neemier géants. D'un côté, entourant le roi du village en tenue d'apparat avec ses bijoux, les propriétaires koulango, qui se sont mis sur leur 31. De l'autre, avec des habits élimés, les agriculteurs lobi et les éleveurs peuls.

Le ton est cordial. Chacun prend la parole à tour de rôle sans interrompre quiconque. On a mis en place des couloirs de transhumance, qui mènent au barrage et à des zones de pâturage créés ex nihilo par l'OIPR, qui y plante des herbes destinées au bétail. On discute aussi du prix d'accès à l'eau. Il y a des tarifs "cassés" pour les membres de la communauté (2000 francs CFA, soit 3 euros, le mois par troupeau) contre 15.000 FCFA (23 euros) pour les éleveurs venant d'ailleurs.

"Avant, il y avait des palabres (disputes) tous les jours. Problème d'eau, d'herbe, pas de route pour les animaux. Du coup, pour éviter les conflits, on allait au Parc", explique l'éleveur Barry Bounangui.

"Aujourd'hui, agriculteurs et éleveurs se fréquentent, c'est une bonne chose. L'association a donné la force et la confiance. Les couloirs de transhumance nous aident beaucoup. Mais pour que ça continue, il faut que le barrage (qui fuit) soit réparé", conclut-il, à l'adresse du commandant Kissi.

- Sourires et grimaces -

Du côté des propriétaires, Amadou Ouattara, chef de terres (sorte de responsable traditionnel du cadastre), applaudit l'initiative. "On a fait des sacrifices. On a donné des terres pour les couloirs de transhumance. On a expliqué aux nôtres que c'était pour le bien commun. Il faut éviter les confits, c'est mieux pour tout le monde".

Les agriculteurs aussi se disent "heureux": "On a moins de dégâts", témoigne Kambou Tchourité.

"Après ce qui s'est passé (en 2016), j'avais peur. Tout le monde avait peur. Quand on est d'accord, c'est bon pour tout le monde", dit Awa Ouattara, présidente des femmes maraichères.

La réunion se termine. Après les sourires, les grimaces. Certains agriculteurs maugréent dans leur coin, maudissant les éleveurs. L'un des agriculteurs prend la parole, très énervé: "Les boeufs viennent dans les champs. Ils détruisent tout. J'ai dit à l'éleveur d'arrêter mais il recommence et il recommence... Ça ne peut plus durer!"

Du côté des éleveurs, on fait mine de sourire. En s'éloignant, l'un d'eux confie à l'AFP: "Les agriculteurs, ils veulent tout. Ils ne laissent pas passer, ils brûlent les champs et ils ne laissent pas un brin d'herbe".

"C'est un modèle en construction mais il faut amener les gens à se rencontrer, se parler et s'accepter. Rien que de les avoir mis à la même table, c'est déjà une victoire", explique Sanogo Issoufou, de la GIZ.

"Avec la gestion concertée, la situation économique est meilleure pour tout le monde et peut générer des revenus supplémentaires. On espère créer un cercle vertueux".

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