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L'"Ebola du manioc" menace la sécurité alimentaire de l'Afrique de l'Ouest


Une femme épluche du manioc pour le plat d'accompagnement attiéké, à Abidjan, le 22 mai 2018.
Une femme épluche du manioc pour le plat d'accompagnement attiéké, à Abidjan, le 22 mai 2018.

Les spécialistes l'appellent "Ebola du manioc": l'Afrique de l'Ouest cherche la parade à un virus qui touche cette plante très consommée sur son sol et qui menace la sécurité alimentaire de la région, où les besoins en nourriture ne font que croître sous la pression démographique.

"La striure brune du manioc, une maladie virale, qui cause la perte de 90 à 100% de la production en Afrique centrale, est en train de faire mouvement vers l'Afrique de l'Ouest. C'est une menace à prendre très au sérieux", explique à l'AFP le Dr Justin Pita, directeur exécutif du programme West africain virus epidemiology (Wave), axé sur la sécurité alimentaire et financé par la Fondation Bill et Melinda Gates.

Ce virus se propage par des mouches blanches. Les hommes peuvent aussi être des vecteurs de transmission lorsqu'ils transportent les boutures de manioc.

Un homme du village d'Ibi étale des tubercules du manioc sur des plates-formes de séchage au plateau de Bateke, à environ 100 kilomètres de Kinshasa, le 11 octobre 2011.
Un homme du village d'Ibi étale des tubercules du manioc sur des plates-formes de séchage au plateau de Bateke, à environ 100 kilomètres de Kinshasa, le 11 octobre 2011.

Or le manioc est une culture de subsistance primordiale en Afrique.

Le continent est le plus grand producteur mondial de cette plante (57%), dont on consomme les tubercules, riches en glucides et en amidon, mais aussi les feuilles et la fécule (qui a plutôt l'aspect d'une semoule), produite à partir des racines.

Le tubercule de manioc entre par exemple dans le bol de 80% des 180 millions d'habitants du Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique.

L'attiéké, un mets fait à base de semoule de manioc cuite, est lui très prisé par les populations de Côte d'Ivoire, du Burkina Faso et du Mali, notamment, tout comme par les diasporas en France et aux Etats-Unis où plusieurs tonnes sont exportées chaque mois.

- La lutte depuis le laboratoire -

Aussi les chercheurs du programme Wave sont-ils à pied d'œuvre depuis des mois pour endiguer le fléau.

"Nous parlons de l'Ebola du manioc", lance le Dr Pita, rappelant qu'une famine a fait plus de 3.000 morts en Ouganda dans les années 1990 après l'apparition de ce virus. "Imaginez la Côte d'Ivoire sans manioc ou Abidjan sans attiéké, ce serait la catastrophe!"

Le programme Wave, dont le siège se trouve à Bingerville, près d'Abidjan, a été mis en place dans sept pays (Côte d'Ivoire, Ghana, Bénin, Togo, Nigeria, Burkina Faso, République démocratique du Congo). Il prône "une approche régionale" pour combattre la maladie.

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La mobilisation a d'abord eu lieu au niveau des techniciens, des chercheurs et des étudiants, qui ont conçu ensemble en laboratoire "des variétés résistantes" expérimentales.

Leur efficacité doit être testée en Afrique centrale, où a démarré l'épidémie.

- L'appel aux rois -

Puis, début juin, les ministres de la Recherche de huit pays d'Afrique de l'Ouest se sont réunis à Cotonou pour mettre sur les rails "une action concertée" afin de prévenir "une crise du manioc".

Un technicien de laboratoire examine des cultures in vitro de manioc dans un centre de recherche sur le manioc, dans le cadre du projet WAVE (West African Virus Epidemiology), à Bingerville, Côte d'Ivoire, 27 juin 2018.
Un technicien de laboratoire examine des cultures in vitro de manioc dans un centre de recherche sur le manioc, dans le cadre du projet WAVE (West African Virus Epidemiology), à Bingerville, Côte d'Ivoire, 27 juin 2018.

Ils se sont engagés aux côtés de Wave, tandis que les rois et chefs de 12 pays d'Afrique ont aussi été sollicités, une première.

"Nous, rois et chefs traditionnels, interfaces entre la population et le gouvernement, devons accompagner le programme Wave pour juguler la striure brune, à travers un plan de sécurité et de prévention déployé au niveau régional", a déclaré Amon Tanoé, le roi de Grand-Bassam, président de la chambre nationale des rois et chefs traditionnels de Côte d'Ivoire, une institution dans le pays de l'attiéké et du placali (mets à base de manioc).

Concrètement, sont envisagés "l'arrachage des plants dans une zone infestée", "l'interdiction de voyager avec des boutures de manioc" et, surtout, un soutien à la recherche "pour lutter contre les maladies et améliorer la productivité".

A Afféry, grande région de production de manioc, à 100 km à l'est d'Abidjan, les 200 productrices locales s'inquiètent.

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Sanglée dans un pagne multicolore, la présidente de leur association, Nathalie Monet Apo, anticipe le pire: "L'attiéké est notre cacao (...), si la maladie apparaît ici ou ailleurs, ce sera un drame pour nos familles et notre communauté".

"C'est grâce à la culture du manioc que j'arrive à scolariser mes quatre enfants", renchérit une autre productrice, Blandine Yapo Sopi, à proximité d'un monticule de tubercules de manioc. Récoltés sur un hectare de plantation, ils devraient lui rapporter 450.000 FCFA (environ 680 euros).

- Le défi du rendement -

Les femmes préparent la semoule de manioc pour la préparation du plat d'accompagnement attiéké à Abidjan, le 22 mai 2018.
Les femmes préparent la semoule de manioc pour la préparation du plat d'accompagnement attiéké à Abidjan, le 22 mai 2018.

Outre la menace de la maladie, les pays ouest-africains doivent aussi relever un autre défi: celui du rendement trop faible de la culture du manioc dans la région.

Il "ne dépasse pas 10 à 12 tonnes par hectare, alors que son potentiel peut avoisiner 40 tonnes/ha. L'Asie affiche un rendement de 22 tonnes/ha pour la même culture", rappelle Odile Attanasso, ministre béninoise de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

"Dans le contexte de pression démographique croissante et de pauvreté rurale qui caractérisent notre région, nous n'aurons d'autre choix que de relever la productivité de cette denrée", avertit Mme Attanasso, dont le pays est gros consommateur de gari et de tapioca, une semoule et une fécule dérivées du manioc.

Les bâilleurs ont promis de poursuivre le financement du programme jusqu'en 2022. Mais les chercheurs espèrent aussi une forte implication des gouvernements africains, dont moins de 1% des budgets nationaux sont pour l'instant consacrés à la recherche scientifique.

Avec AFP

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