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Teddy Afro, le chanteur que le gouvernement éthiopien voudrait museler


Teddy Afro, Addis Abeba, Ethiopie, le 9 mai 2017.
Teddy Afro, Addis Abeba, Ethiopie, le 9 mai 2017.

Cela fait plus de trois ans que le chanteur le plus populaire d'Éthiopie n'a plus donné de concert dans son pays. Au fil des ans, la voix de Teddy Afro est devenue aussi insupportable aux oreilles des autorités qu'elle est douce à celles de ses fans.

Adulé pour ses mélodies enivrantes et ses textes en amharique - la langue nationale - relatant les épisodes les plus glorieux de l'histoire éthiopienne, il a parfois égratigné en chanson le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), une ancienne guérilla marxiste ayant pris le pouvoir en 1991.

Au point que les autorités, redoutant l'influence du chanteur à la fine moustache, aux courts cheveux crépus et au sourire éclatant, ne manquent pas une occasion de faire taire cette voix dissidente.

Début septembre, la police a empêché la soirée de lancement officiel de son dernier album, "Ethiopia", prévue dans un hôtel d'Addis Abeba, et refusé d'autoriser un gigantesque concert pour célébrer le Nouvel An éthiopien.

Teddy Afro assure pourtant ne prêcher que la paix et l'unité dans ce dernier opus, qui a brièvement occupé en mai la première place du classement Billboard "musique du monde". Un message qu'il estime nécessaire face aux tensions ethniques croissantes dans ce pays qui a connu en 2015 et 2016 les pires manifestations antigouvernementales depuis la prise du pouvoir de l'EPRDF.

"Quand j'étais enfant, je me souviens que nous vivions comme une seule nation", raconte à l'AFP Teddy Afro, depuis sa maison de Legetafo, juste à l'extérieur de la capitale, face à une épée ayant appartenu à l'empereur Menelik II et qui orne son salon. "Mais de nos jours, on est identifié et appelé selon notre origine ethnique et c'est déjà devenu dangereux".

Une tournée est en préparation, mais c'est devant les membres de la diaspora éthiopienne, nombreux en Europe et surtout aux États-Unis, que Teddy Afro défendra son dernier album.

Hymne protestataire

Les chemins de Teddy Afro - Tewodros Kassahun de son vrai nom - et du gouvernement se croisent pour la première fois en 2005.

Cette année-là, son album "Yasterseryal" sort quelques jours avant des élections que l'opposition dénoncera comme truquées et qui dégénéreront en violences. L'album est un hommage au dernier empereur du pays, Haïlé Sélassié, mais son titre principal "Jah Yasteseryal", très critique du bilan du gouvernement, devient un hymne des protestataires.

Plus tard, il passera plus d'un an en prison pour homicide involontaire, la justice lui reprochant d'avoir tué un homme lors d'un accident de voiture en 2006. Une condamnation que de très nombreux fans estiment politiquement motivée: le chanteur a toujours nié les faits et assuré être à l'étranger à la date de l'incident allégué.

De nos jours, si les chansons de Teddy Afro résonnent dans les bars et les bus de la capitale, beaucoup craignent encore de diffuser "Jah Yasteseryal" en public de peur d'être considérés comme agitateurs par les autorités.

Malgré son immense popularité, Teddy Afro s'est parfois également aliéné certains Éthiopiens. En 2012, sa chanson "Tikur Sew" raconte les exploits de l'empereur Menelik II, dont la victoire contre l'envahisseur italien au XIXe siècle a été un moment clé de l'histoire éthiopienne.

Mais les Oromo, la plus importante ethnie du pays, ont ressenti "Tikur Sew" comme un affront, car la chanson glorifie un souverain qui a brutalement conquis le territoire oromo pour l'inclure dans son empire. La polémique a été telle que le brasseur Heineken a retiré son patronage d'une tournée de concerts.

Rancoeurs historiques

Teddy Afro admet s'être hâté pour terminer l'album "Ethiopia", assurant avoir un rôle à jouer dans un pays qui traverse une période trouble. L'Éthiopie sort d'un état d'urgence décrété pendant 10 mois en raison de manifestations anti-gouvernementales où des centaines de personnes ont été tuées par la police.

Mais l'opinion des autorités sur sa musique n'a pas changé depuis 2005 et l'artiste attend toujours une improbable autorisation pour un concert début janvier en l'honneur du Noël éthiopien.

Teddy Afro assure toutefois que ces restrictions n'ont pas entamé sa volonté d'utiliser la musique pour promouvoir la paix, même si ses projets semblent voués à irriter encore plus le gouvernement.

Le chanteur dit espérer se produire d'ici peu à Asmara, la capitale de l'Érythrée, ancien territoire éthiopien devenu l'ennemi juré de l'Éthiopie. Teddy Afro est persuadé que ce concert pourrait aider à rapprocher les deux pays.

"Nous avons besoin de l'esprit de l'amour, de la paix et du pardon, car les problèmes actuels sont le résultat de rancoeurs historiques", assure-t-il. "Nous devons laisser tout cela derrière nous".

Avec AFP

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