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En Afrique du Sud, la double épidémie du Covid et des violences aux femmes


Des habitants lors de la distribution de nourriture au milieu de la propagation de la maladie à coronavirus (COVID-19), dans le canton d'Alexandra, en Afrique du Sud, le 28 avril 2020. REUTERS / Siphiwe Sibeko
Des habitants lors de la distribution de nourriture au milieu de la propagation de la maladie à coronavirus (COVID-19), dans le canton d'Alexandra, en Afrique du Sud, le 28 avril 2020. REUTERS / Siphiwe Sibeko

La vie de Sandy a basculé fin mars, au début du confinement anti-coronavirus. "Mon mari a menacé de me détruire. Et la situation n'a cessé de se détériorer", raconte cette coiffeuse sud-africaine de 42 ans, victime de violences conjugales.

Son cas n'est pas isolé. En Afrique du Sud, le numéro d'appel national pour les femmes et enfants battus est saturé depuis le début, le 27 mars, du confinement: plus de 12.000 appels lors des trois premières semaines, le double de la normale.

En plus de gérer la pandémie de coronavirus, qui a déjà fait 93 morts en Afrique du Sud, sur quelque 5.000 cas confirmés, le pays "combat une autre épidémie mortelle, celle des violences faites aux femmes", a résumé la publication en ligne Daily Maverick.

En temps normal, les femmes sud-africaines paient déjà un lourd tribut à la violence. Une d'entre elles est assassinée toutes les trois heures et, chaque jour, la police enregistre 110 plaintes pour viol, selon ses dernières statistiques annuelles.

Et le confinement provoqué par la pandémie de Covid-19 n'a fait qu'exacerber le phénomène.

Des femmes se retrouvent bloquées avec leur agresseur, explique Kathy Cronje, directrice de l'association Safe House, qui héberge des femmes battues. "Pour les agresseurs naturels, le confinement, c'est tout bénef", lâche-t-elle.

Dans les quartiers les plus pauvres, "les logements sont surpeuplés avec très peu de confort. En temps de confinement, on ne peut pas dire aux enfants d'aller jouer dans la rue", poursuit Shaheda Omar, directrice de la fondation Teddy Bear pour les enfants maltraités.

"Des personnes se retrouvent sans emploi. Et quand on ne sait plus quand on va avoir du pain sur la table, tous les ingrédients sont réunis pour que les tensions éclatent", ajoute-t-elle.

- Peur de représailles -

"Comme tous les couples, on avait nos disputes et désaccords", témoigne Sandy, dont le prénom a été modifié. "Mais quand on se retrouve confiné, on ne peut pas juste monter dans sa voiture pour aller prendre l'air. Ça fait boule de neige et ça se transforme en explosion volcanique".

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a jugé "inquiétant que pendant une période aussi difficile (...) des femmes et des jeunes filles soient terrorisées dans leur maison et forcées à lancer des appels à l'aide désespérés".

La situation n'est pas propre à l'Afrique du Sud. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a lancé début avril un appel mondial "pour la paix à la maison", dénonçant une "horrible flambée de violence" à la faveur des confinements imposés dans de très nombreux pays.

A la fondation Tears d'aide aux victimes de violences conjugales, le nombre d'appels - reçus souvent par textos pour assurer une plus grande discrétion aux victimes - a augmenté de 30% en l'espace de trois semaines, constate sa présidente.

Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, préviennent les associations locales.

En période de confinement, "les victimes ne peuvent pas parler librement", explique Mara Glennie, présidente de Tears.

"Quand la police vient chez vous et que votre agresseur est à vos côtés, c'est très difficile de dire qu'on a besoin d'aide. Vous pouvez avoir un œil au beurre noir ou un nez qui saigne, souvent vous niez" par peur des représailles.

- "Souffrir en silence" -

Les femmes qui veulent quitter le domicile conjugal sont confrontées à des obstacles parfois infranchissables en période de confinement. Il leur faut obtenir du tribunal un permis de se déplacer, dénonce Mara Glennie.

"La nature du confinement nous fait souffrir en silence", constate Brenda Madumise-Pajibo, une militante féministe.

Au début du confinement d'ailleurs, l'ONG Safe House s'est étonnée du faible nombre d'appels reçus.

"On s'interrogeait", se rappelle Kathy Cronje. "Peut-être que la peur du coronavirus était plus grande que celle de rester à la maison. Mais dès que le président a annoncé le prolongement du confinement (le 9 avril), les femmes se sont dit: on ne peut plus tenir", avance-t-elle.

Depuis, Safe House croule sous les demandes urgentes d'hébergement.

Le numéro national d'appel est débordé. "Après dix minutes, on vous répond et puis on vous passe encore de la musique pendant dix minutes", s'indigne Shaheda Omar.

L'an dernier, le président Ramaphosa a lancé un plan d'urgence doté de plus d'un milliard et demi de rands (plus de 50 millions d'euros) pour aider les victimes de violences.

Mais à ce jour, "on n'a rien vu" de cet argent, "c'est une honte à un moment où on n'en a plus que jamais besoin", s'étrangle Mara Glennie, qui se demande combien de temps beaucoup d'associations vont encore pouvoir fonctionner.

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