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Du Soudan à la Libye, le cauchemar de migrants poursuivis par la guerre


Des migrants d'Afrique subsaharienne dans une forêt du district de Boukhalef, à la périphérie sud-ouest de la ville portuaire marocaine de Tanger surplombant le détroit de Gibraltar, le 20 octobre 2018.
Des migrants d'Afrique subsaharienne dans une forêt du district de Boukhalef, à la périphérie sud-ouest de la ville portuaire marocaine de Tanger surplombant le détroit de Gibraltar, le 20 octobre 2018.

Arrivés en Libye après avoir fui leur pays, des Soudanais se retrouvent depuis trois semaines rattrapés par la guerre, victimes collatérales des combats entre les troupes loyales au Gouvernement d'union nationale (GNA) et celles du maréchal Haftar.

Dans la cour de l'école Ahmad Ibn Chatwan, dans le centre de Tripoli, du linge sèche au soleil. Dans les salles, chaises et tables ont été empilées dans un coin pour laisser place à des matelas.

Sur un tableau, la date s'est arrêtée au 16 avril. Elèves et professeurs ont déserté depuis l'établissement, fermé par les autorités, qui a ensuite commencé à accueillir des familles de déplacés.

Si les coursives multicolores de l'école résonnent de rires et de courses d'enfants, à l'ombre des bâtiments, les adultes ont, eux, le regard triste et fatigué.

"J'ai fui une guerre, je me retrouve dans une autre guerre", soupire Alaouia, mère de famille d'une quarantaine d'années.

- "Pas de vie ici" -

Cette Soudanaise originaire du Darfour, une région de l'ouest du Soudan ravagée par la guerre, habitait à Saadia, au sud-ouest de Tripoli, avec ses trois enfants âgés de 12 ans, 11 ans et quelques mois.

"Au début, on croyait que les combats allaient s'arrêter au bout de deux ou trois jours. Puis des avions ont commencé à larguer des bombes. J'ai pris mes enfants, je suis sortie sans savoir ou aller", raconte-t-elle.

Selon les autorités libyennes et l'ONU, eviron 35.000 civils ont fui les combats suite à l'offensive lancée le 4 avril par le maréchal Haftar contre Tripoli, siège du GNA, le gouvernement reconnu par la communauté internationale.

Si la plupart des Libyens trouvent refuge chez des proches ou par leurs propres moyens, les migrants -dont aucun nombre n'est donné par les autorités- se débrouillent comme ils peuvent.

A l'école Ahmad ibn Chatwan, ils sont une centaine, la plupart originaires du Darfour, pris en charge par le Croissant rouge libyen.

"On se sent un peu en sécurité. On a entendu dire que les combats continuent mais on retrouve un peu le sourire de la vie. Il y a de l'eau et de la nourriture", explique Abdelrassoul, 38 ans, des sanglots dans la voix.

Pour lui comme pour tous, l'école est l'énième étape d'une douloureuse odyssée. Les larmes coulent de ses yeux cernés quand il évoque son village au Darfour "totalement détruit" et sa famille tuée en 2003, le camp de réfugiés de Kalma où il a vécu à partir de 2004, son départ en 2013 pour l'Egypte, puis la Libye.

Là, il est allé de Benghazi (est) à Mourzouk (sud), a été kidnappé trois fois, avant d'arriver dans la région de Tripoli en septembre "pour traverser la mer vers l'Europe". "Et soudain, la guerre a éclaté ici".

Le 11 avril, il a fui avec sa femme, ses deux filles de 3 ans et 5 ans, et quelques autres familles "avec des femmes enceintes, des petits enfants". "J'ai marché deux ou trois heures, puis un taxi nous a dit qu'il y avait le Croissant rouge libyen un peu plus loin", raconte-t-il.

Gasr ben Ghachir, ain-Zara, puis deux écoles différentes à Tripoli "Chaque fois qu'on arrivait quelque part, la guerre nous suivait".

"Les organisations internationales doivent nous aider", implore-t-il. "Même après (le conflit), on n'a pas de vie ici, on n'a pas la permission (de rester)".

Il survit avec "des petits boulots, comme décharger des marchandises ou dans le bâtiment". "C'est difficile de vivre ici", confie-t-il pudiquement, contenant une nouvelle fois ses larmes.

- "Plus le choix" -

Tous ont un objectif : "traverser" vers l'Europe, pour que l'épreuve de leur exode ne soit pas vain.

Un homme au regard usé raconte avoir été détenu dans le désert, par un groupe armé "a priori pas libyen". "Ils ont violé ma femme. Elle est enceinte de deux mois, je ne sais pas si c'est mon enfant ou non", confie-t-il.

A 26 ans, Jihan Hussein n'a plus rien à perdre. "Nous avons souffert sur la route, nous avons souffert ici", résume la jeune femme, le visage enveloppé dans un voile zébré.

Elle est arrivée "il y a sept mois et demi", "par le désert", avec son mari et ses deux enfants. "Un jour, un Libyen est venu vers mon mari et lui a demandé s'il voulait travailler. Il l'a emmené et depuis, nous n'avons aucune nouvelle", raconte-t-elle.

Elle a vécu dans la rue, dans les décombres d'un immeuble détruit, raconte avoir été violée. "Nous sommes fatigués", souffle-t-elle. "Mais je n'ai pas d'argent. Je suis prête à vendre un de mes organes. Si je dois vendre un rein, je le fais et je prends la mer vers l'Europe. Nous n'avons plus le choix".

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