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Combien de temps pourra tenir la pression de la rue au Togo?


Des partisans de l’opposition manifestent à Lomé, Togo, 20 septembre 2017.
Des partisans de l’opposition manifestent à Lomé, Togo, 20 septembre 2017.

Le pouvoir togolais a été surpris par la mobilisation historique de l'opposition début septembre, qui réclame désormais haut et fort le départ du président Gnassingbé. Mais ce mouvement populaire peut-il durer et faire plier un régime familial cinquantenaire?

"Du jamais vu!", ont lancé fièrement les militants les 6 et 7 septembre après les marches qui avaient rassemblé à travers le pays des centaines de milliers de personnes - adolescents et retraités, médecins comme conducteurs de zémidjans (motos taxis).

Dans l'allégresse du moment, ni la pluie ni les forces de l'ordre massivement déployées n'avaient altéré la détermination de ces Togolais qui ne cessent de le répéter : "50 ans de la même famille au pouvoir, c'est trop".

Pour une opposition longtemps minée par ses propres divisions, ce fut une véritable démonstration de force.

"Nous avons longtemps facilité la tâche au pouvoir mais aujourd'hui, c'est un peu l'union sacrée, nous avons réussi à taire nos divisions et à clarifier nos exigeances", estime Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais. "Cette fois, il y a une vraie fenêtre de tir qu'il ne faut pas laisser passer".

Jean-Pierre Fabre, "infatigable" opposant, a appelé à d'autres mobilisations populaires les 26, 27 et 28 septembre, assurant que les Togolais n'auraient ni "répis", ni "repos" jusqu'à ce que "M. Faure Gnassingbé n'aura pas quitté le pouvoir": un discours bien optimiste, dans un pays frappé par le chômage et la pauvreté.

Croisés dans les ruelles de latérite trouées de nids de poule de la capitale, des habitants interrogés par l'AFP soulignent qu'ils ont des bouches à nourrir et ne peuvent s'offrir le luxe de manifester.

Nathan, menuisier de 54 ans, estime que c'est "Dieu qui a choisi ce président". "Moi, j'essaie de gagner mon pain, je ne m'occupe pas de politique".

"Ce sera difficile de mobiliser autant de monde (dans la rue) sur la durée", explique le Pr David Dosseh, coordonnateur des Universités sociales du Togo. "Il faut envisager d'autres voies comme la désobéissances civile pour bloquer le pays."

Comi Toulabor, directeur de recherche au Les Afriques dans le Monde (LAM) à Sciencespo-Bordeaux (France), est encore plus catégorique : "Si l'opposition n'est pas plus rusée, le pouvoir aura le dessus."

Pendant des années, Jean-Pierre Fabre a organisé des manifestations hebdomadaires. Tous les samedis, ses partisans marchaient dans les rues de Lomé avant de se retrouver sur la plage.

"A la fin, c'était l'ambiance pique-nique'", rappelle M. Toulabor. "C'est malheureux à dire, mais tant qu'il n'y aura pas d'incidents, ça ne dérangera pas le pouvoir. Des fissures déjà commencent à réapparaître au sein de la coalition (de l'opposition). Ils savent tous que c'est (Tikpi) Atchadam qui a créé une mobilisation vraiment contestataire."

Tikpi Atchadam, que le pouvoir désigne comme un extrémiste dangereux a réussi à rassembler une base populaire dans le Nord, région autrefois dévouée à la famille Gnassingbé.

A Bafilo, a Mango ou à Sokodé, les manifestants s'en sont pris aux commissariats, ils ont également mis le feu aux maisons de cadres du parti présidentiel à Mango. La répression a fait au moins trois morts depuis le début des manifestations, et des dizaines de blessés.

"L'armée seule pourra faire basculer les choses", poursuit M. Toulabor. "Mais son organisation reste très clanique." Le pouvoir reste en famille au Togo, où le chef des armées n'est autre que le beau-frère du président.

"Cette situation nous inquiète, évidemment", concède toutefois une source proche de la présidence sous couvert d'anonymat. "Sinon le gouvernement n'aurait pas déposé un projet de loi (de réforme constitutionnelle, NDLR) dans l'urgence, la pression est réelle".

Le projet de réforme constitutionnelle prévoit une limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, comme le demandait l'opposition depuis plus de 10 ans. Il devrait être voté par référendum populaire dans les prochains mois.

Mais le texte n'est pas rétroactif, permettant de facto au président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, et dont le père était lui-même resté 38 ans à la tête du Togo, de briguer un quatrième - voire un cinquième - mandat, puisqu'il remet les compteurs à zéro.

Une subtilité qui rend le discours de l'opposition peu audible sur la scène internationale. "Le référendum donne l'impression que le gouvernement donne l'occasion au peuple de choisir" s'il souhaite ou non des réformes, note le politologue ouest-africain Gilles Yabi. "C'est toujours le même piège qu'avant. Le plus important pour l'opposition maintenant, c'est qu'elle reste unie."

"Avec M. Gnassingbé qui exerce cette année la présidence de la Cédéao (Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest), le Togo n'a rien à attendre de l'extérieur. Le changement ne pourra venir que des Togolais eux-mêmes", tranche M. Yabi.

Avec AFP

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