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L'impossible confinement dans les bidonvilles de Mayotte


Des familles de migrants et de réfugiés dans un camp de fortune à Mamoudzou, Mayotte, le 16 juin 2016.
Des familles de migrants et de réfugiés dans un camp de fortune à Mamoudzou, Mayotte, le 16 juin 2016.

"Comment voulez-vous que l’on reste chez nous ? C’est la fournaise à l'intérieur !". À l’ombre d’un gros manguier, Nemati Houmadi discute avec ses voisins, profitant d’un léger vent qui rafraîchit l’air dans le bidonville Karidjavendza, à Mayotte, île française de l'Océan indien.

Il est 10h00, et le confinement pour lutter contre le coronavirus n’est pas de mise dans ce rassemblement de cases en tôle situé à Kahani, un village au centre de Mayotte, et dont le nom signifie "Nous refusons" en grand-comorien, langue parlée dans la plus grande île de l’archipel des Comores.

Dans ce département français d'outre-mer, le dernier bilan fait état de 184 cas avérés de Covid-19 et deux décès.

Dans le bidonville, il n’y a ni eau courante, ni électricité, les allées sont en terre battue. Et la majorité du gros millier d'habitants qui y vivent, sont des citoyens comoriens en situation irrégulière à Mayotte.

La température extérieure quotidienne avoisine les 30, 32°C, mais plutôt 40 à 45°C à l'intérieur des cases. "On n’a ni ventilateur ni climatiseur", explique Namati Houmadi, âgée d’une cinquantaine d’années et mère de quatre enfants de 12 à 20 ans : "Dehors, on peut au moins respirer !".

Dans ce bidonville installé sur des terrains communaux, les règles de distanciation sociale ne sont pas la priorité des habitants. Ici, la préoccupation majeure est l’eau. Une borne-fontaine à carte rechargeable a été installée il y a une dizaine d'années, mais aujourd'hui, elle pose problème.

"Déjà, elle ne fonctionne que quelques heures. Tout le monde ne peut pas remplir ses bidons, il faut aller se disputer avec les habitants de Komprani (un autre bidonville de Kahani, NDLR) sur leur borne. Ensuite, notre borne est trop près de la route, des enfants se sont faits renverser par des voitures", grommelle Nemati Houmadi.

Et "en ce moment, il est difficile pour nous de recharger nos cartes. Le seul point de vente est à Kawéni (à 25 kilomètres) et avec le confinement, c’est difficile de circuler pour aller là-bas", ajoute son voisin Ibrahim Ousseni Abdallah.

- Rivière et eau de pluie -

Pour l'ONG Médecin du Monde, les bornes d'eau sont une "réponse inadaptée (qui) n’est ni souhaitable d’un point de vue sanitaire - créant des rassemblements - ni suffisante d’un point de vue humanitaire".

Difficile dans cette situation de suivre les préconisations de se laver les mains régulièrement pour se prémunir du coronavirus. "Quand on n'a pas d'eau, on ne se lave pas les mains", résume fataliste le député de droite de Mayotte Mansour Kamardine, qui alerte depuis plusieurs semaines sur la situation.

Et l'achat de gel hydroalcoolique, denrée rare, n'est pas la priorité de la population, dont 82% vit sous le seuil de pauvreté.

Les autorités craignent par-dessus tout la contamination de ces bidonvilles, où la promiscuité est très forte. A Mayotte, 40% des habitations sont en tôle, le tiers n’a pas accès à l'eau courante.

Pour avoir de l’eau, les habitants s'appuient sur la solidarité du quartier. Ceux qui peuvent recharger leur carte les prêtent aux voisins. La lessive et les baignades se font dans le lit de petits cours d’eau.

Des citernes et des bacs en plastique sont utilisés pour récupérer l’eau de pluie, mais la saison sèche approche, les précipitations se feront rares et ces rivières seront bientôt asséchées.

Les habitants souhaitent l'installation d’autres bornes-fontaines. Or la commune de Ouangani veut aménager une zone d'activité économique et le premier adjoint au maire Dahalani Hamada relève : "Les habitants squattent ce terrain. Personne ne leur a dit de s’installer là. Il y un quai de transfert de déchets ménagers à proximité, il ne devrait pas y avoir d’habitations à moins de 200 m. À l’époque, quand les premiers se sont établis là, on a installé la fontaine, cela suffisait pour tout le monde".

Les habitants de Karidjavendza estiment être considérés "comme des animaux" par la municipalité. "Même si nous sommes étrangers, même si beaucoup sont sans papiers, il n’y a pas une habitation où il n’y a pas de citoyen français à l'intérieur. Personne ne pense à nous", soupire Kadafi, 33 ans, arrivé à Mayotte à l’âge de 10 ans et ayant essuyé sept refus de régularisation.

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