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La peur d'aller voter au Cameroun anglophone


Des soldats patrouillent dans les rues de Buea, Cameroun, le 26 avril 2018.
Des soldats patrouillent dans les rues de Buea, Cameroun, le 26 avril 2018.

A moins de deux semaines de la présidentielle du 7 octobre au Cameroun, le regain de tensions dans les deux régions anglophones du pays et les menaces des séparatistes font craindre un fort taux d'abstention.

"J'ai peur. Je n'irai pas voter car je ne peux pas risquer ma vie pour un vote. J'ai peur des Ambazoniens (combattants séparatistes anglophones) mais aussi des policiers et des militaires qui tuent (...). Ça peut très mal se passer le jour du vote", craint Elizabeth, habitante de Limbe, une cité balnéaire du Sud-Ouest.

Récemment, huit personnes - six civils et deux policiers - ont été tuées dans cette région anglophone.

A Limbe, jusque-là relativement épargnée par le déchaînement de violence observé dans cette région depuis le début de la crise anglophone, deux policiers ont été tués dans la nuit de mercredi à jeudi lors de l'attaque de leur commissariat par des "Amba Boys", autre nom des combattants séparatistes qui luttent pour l'indépendance du Cameroun anglophone.

L'opposant et ancien bâtonnier Akere Muna, premier candidat à se rendre en zone anglophone depuis le début de la campagne, a dû annuler jeudi son meeting populaire à Limbe, se contentant d'un petit tour en ville et d'une courte allocution devant certains de ses sympathisants, a rapporté la radio d'Etat, la Cameroon Radio Television (CRTV).

"On a décidé d'avoir un meeting restreint parce qu'il y a eu des troubles ce matin à Mutengene", ville entre Limbe et Buea, où des séparatistes ont créé des troubles lorsque des soutiens du candidat s'apprêtaient à rallier Limbe, a expliqué M. Muna jeudi à la CRTV.

A Buea, chef-lieu de la région, la police a abattu jeudi six civils qui se trouvaient dans la rue, a appris l'AFP de sources concordantes.

Dans cette ville estudiantine où il faisait jadis bon vivre, les populations vivent désormais cloîtrées chez elles, par crainte d'être la cible de tirs des forces de sécurité, rapportent des témoins. Plus un jour sans que des tirs ne soient entendus, témoignent les habitants.

Lundi, deux autres civils y avaient été abattus par l'armée.

Bamenda, capitale du Nord-Ouest, deuxième région anglophone, a été jeudi le théâtre d'échanges de tirs entre soldats et séparatistes.

Dans la nuit de mardi à mercredi, au moins 80 détenus de la prison de Wum, à un peu plus de 70 km au nord de Bamenda, se sont évadés après une attaque d'hommes armés identifiés par les autorités comme des séparatistes.

Ce regain de violence intervient alors que la présidentielle est prévue le 7 octobre.

Neuf candidats sont en lice, dont le président sortant Paul Biya, 85 ans, au pouvoir depuis 1982.

Les séparatistes ont mis en garde via les réseaux sociaux tous ceux (électeurs, organisateurs et candidats) qui participeront d'une manière ou d'une autre aux activités liées au scrutin.

Dans les régions anglophones, ces menaces sont prises au sérieux: beaucoup de personnes ont fui leurs localités. Et celles qui sont restées sur place sont réticentes à se rendre aux urnes.

"Je ne prendrai pas part à l'élection. Beaucoup dans mon entourage disent qu'ils n'iront pas à cause des menaces des Ambazoniens", confie Ruth, une femme sur place.

"Et puis de toutes les façons, à quoi ça sert de risquer sa vie pour un scrutin dont l'issue est connue d'avance?", s'interroge-t-elle.

Selon de nombreux Camerounais, Paul Biya mettra tout en oeuvre pour remporter l'élection.

"Je suis convaincu que les élections se tiendront dans les régions anglophones parce qu'on y trouve beaucoup de pro-RDPC", le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir, estime sous couvert d'anonymat un acteur de la société civile dont l'ONG entend observer les élections.

"Mais il est à craindre que le taux d'abstention soit fort", redoute-t-il.

"Premièrement, beaucoup d'anglophones disent qu'ils ne peuvent pas participer à un vote dans un pays qui n'écoute pas leurs problèmes. Deuxièmement, les menaces des séparatistes ne laissent pas les gens insensibles", détaille-t-il.

Depuis fin 2016, la minorité anglophone - environ 20% de la population camerounaise estimée à 22 millions - proteste contre sa marginalisation.

Les grèves menées par les avocats et les enseignants ont dégénéré en crise socio-politique puis en conflit armé entre forces de l'ordre et séparatistes après l'arrestation de leaders anglophones en janvier 2018.

Elections Cameroon (Elecam), l'organe électoral, a d'ores et déjà annoncé la délocalisation de plusieurs bureaux de vote dans les régions anglophones en raison de la situation sécuritaire.

De nombreux renforts ont été envoyés dans ces zones, selon des sources concordantes. Depuis des semaines, l'armée multiplie des assauts contre des bastions séparatistes.

Avec AFP

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