Bombes atomiques et normalisation, les enjeux du sommet Kim-Trump

La limousine de Kim Jong Un arrive à l'Istana, le palais présidentiel, à Singapour, le 10 juin 2018, pour rencontrer le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, avant le sommet entre le leader américain Donald Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un.

Quand Donald Trump et Kim Jong Un s'assiéront face à face mardi pour un sommet sans précédent, ils auront selon le président américain une "occasion unique" de faire avancer la cause de la paix. Mais un certain nombre de sujets épineux les attendent.

Dénucléarisation

C'est le coeur du problème, et les diplomates s'escriment à combler le gouffre qui sépare encore les deux parties à la veille de la rencontre.

Washington exige une "dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible (DCVI)" de la Corée du Nord. Selon les mots de M. Trump: "Ils doivent dénucléariser. S'ils ne dénucléarisent pas, cela ne sera pas acceptable".

Pyongyang n'a de cesse de parler de son engagement derrière l'objectif de "dénucléarisation de la péninsule coréenne". La formule est cependant sujette à interprétation et on ignore quelles concessions la Corée du Nord serait prête à mettre sur la table.

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D'après les estimations de Séoul, le Nord dispose de 50 kilogrammes de plutonium, soit selon la presse assez pour confectionner une dizaine de bombes, et possède une capacité "considérable" à produire des armes avec de l'uranium.

De précédents accords ont volé en éclats et les spécialistes ne parieraient pas sur la volonté du dirigeant nord-coréen à renoncer à "son épée chérie", sa force de dissuasion nucléaire.

D'après les experts, il faudra plusieurs années pour démanteler un arsenal nucléaire construit en secret pendant des décennies, un processus extrêmement difficile à surveiller.

Siegfried Hecker, spécialiste américain de renom, a déclaré qu'une dénucléarisation totale et immédiate était "inimaginable" et "reviendrait au scenario d'une reddition de la Corée du Nord".

Mettre fin à la guerre de Corée?

Nord et Sud sont toujours techniquement en guerre, le conflit de 1950-53 s'étant achevé sur un armistice que le dirigeant sud-coréen de l'époque s'était refusé à signer. Il créait la Zone démilitarisée (DMZ) qui consacrait la division de la péninsule.

Lors du sommet intercoréen d'avril, M. Kim et le président sud-coréen Moon Jae-in avaient convenu de rechercher un traité de paix.

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Séoul a annoncé la semaine dernière que des discussions tripartites avec Pyongyang et Washington avaient cours pour une déclaration liminaire sur le sujet.

Celle-ci précéderait un traité en bonne et due forme, qui traiterait de problèmes complexes nécessitant des négociations laborieuses. Il faudrait impliquer la Chine, signataire de l'armistice et soutien du Nord pendant la guerre.

"On pourrait tout à fait signer un accord et c'est ce qu'on regarde", a cependant déclaré M. Trump. "Ca a l'air un peu étrange, mais c'est probablement le plus facile".

Normalisation

Le président américain a agité la carotte d'une normalisation des relations diplomatiques entre anciens ennemis, voire une invitation à la Maison Blanche pour le numéro un nord-coréen.

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"Peut-être qu'on pourrait commencer par la Maison Blanche, qu'est-ce que vous pensez?", a-t-il dit, comme on lui demandait si M. Kim serait invité à Washington ou dans sa propriété de Mar-a-Lago en Floride.

L'autre facteur incitatif serait la levée des sanctions de l'ONU contre Pyongyang. Mais là aussi, il y a un fossé, Washington faisant valoir qu'elles ne pourraient disparaître que si la dénucléarisation est complète. Pyongyang veut un allègement par "étapes" à mesure des progrès vers cet objectif.

Droits de l'Homme

Les défenseurs des droits disent que les violations sont généralisées en Corée du Nord, où jusqu'à 120.000 détenus croupissent dans des camps, et certains se demandent si M. Trump va évoquer la question.

Le Japon, allié proche de Washington, demande au président américain de parler de ses ressortissants enlevés dans les années 1970 et 1980 pour former les espions nord-coréens à la langue et aux coutumes japonaises.

Pour Brad Adams, directeur pour l'Asie de Human Rights Watch, ce sujet est impératif.

"Le renforcement du dialogue entre la Corée du Nord et les autres pays est positif mais avant de trop s'emballer, il faut se souvenir que Kim Jong Un règne sur le système peut-être le plus répressif au monde".

Sécurité

Le principal souci de M. Kim est la survie de son régime. D'après M. Moon, le Nord-Coréen "a des inquiétudes sur le fait de savoir s'il peut faire confiance aux Etats-Unis pour mettre un terme à leur politique hostile et garantir la sécurité du régime quand le Nord se sera dénucléarisé".

Le sommet avait failli dérailler quand le faucon John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, avait évoqué le "modèle libyen" de désarmement. Quelques années plus tard, le dirigeant libyen Mouammar Khadafi avait été tué lors d'un soulèvement soutenu par l'Occident.

L'administration Trump a promis de ne pas demander de changement de régime, et le secrétaire d'Etat Mike Pompeo a même évoqué l'éventualité d'offrir des garanties de sécurité au Nord.

Mais les sceptiques se demandent pourquoi M. Kim ferait confiance à M. Trump au vu de sa propension à se retirer de certains accord, comme celui sur le nucléaire iranien.

"Pourquoi Kim (...) croirait-il les promesses du président Trump quand il déchire arbitrairement des accords respectés par l'autre partie?", demande Anthony Blinken, numéro deux de la diplomatie américaine sous Barack Obama.

Avec AFP