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Colère rwandaise après un colloque au Sénat français qualifié de "négationniste"


Des crânes et des os des victimes d'un massacre de deux jours à l'église de Nyamata pendant le génocide de 1994 sont exposés dans une crypte derrière l'église, aujourd'hui un mémorial du génocide. (Photo: AP)
Des crânes et des os des victimes d'un massacre de deux jours à l'église de Nyamata pendant le génocide de 1994 sont exposés dans une crypte derrière l'église, aujourd'hui un mémorial du génocide. (Photo: AP)

Un colloque consacré aux "responsabilités" dans le génocide des Tutsi de 1994 se tenait lundi au Sénat à Paris, provoquant la colère de Kigali qui estime que l'évènement donne la parole à des théories "négationnistes".

Le génocide commis en 1994 au Rwanda, à l'instigation du régime extrémiste hutu alors au pouvoir, a fait environ 800.000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement parmi la minorité tutsi, mais aussi chez les Hutu modérés, selon l'ONU.

Mais certaines personnalités invitées lundi considèrent qu'un autre génocide, commis par les Tutsi du Front patriotique rwandais (FPR, toujours au pouvoir), s'est déroulé dans la foulée, en représailles contre les Hutu.

Plusieurs invités sont qualifiés de révisionnistes par le Rwanda, notamment l'intellectuel franco-camerounais Adrien-Charles Onana ou la journaliste canadienne Judy Rever.

"Je n'ai jamais nié le génocide contre les Tutsi", a déclaré Mme Rever à la tribune. Mais elle a accusé le FPR et ses "acolytes" de "nier" leurs propres "crimes" contre les Hutu.

Un argumentaire partagé avant elle par Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ambassadeur rwandais en France jusqu'en avril 1994.

"Entre juillet et septembre 94, les troupes du FPR étaient occupées à massacrer des gens dans le pays, 40.000 personnes: je dis que c'est un génocide. Pourquoi ce ne serait pas un génocide?", a-t-il déclaré.

"Banaliser" la parole

De quoi hérisser l'actuel ambassadeur du Rwanda en France, François-Xavier Ngarambe, joint lundi par l'AFP.

"La présence de négationnistes au Sénat, le temple des lois françaises, est inacceptable. C'est une agression violente contre le peuple rwandais, la mémoire des victimes, contre les rescapés qui restent dans la douleur", s'est-il insurgé.

"On ne doit pas banaliser la parole négationniste", a-t-il poursuivi.

Cet évènement se tient à l'heure où les relations entre la France et le Rwanda se réchauffent après la mise en place en 2019 d'une commission d'historiens et de chercheurs pour faire la lumière sur le rôle controversé de Paris dans cette tragédie.

Une centaine de personnes assistaient à ce colloque, ouvert par deux anciens ministres français de la Défense, Alain Richard (1997-2002) et Gérard Longuet (2011-2012). Parmi eux, Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle en République démocratique du Congo voisine, qui a été chaleureusement applaudi.

Hubert Védrine, secrétaire général de la présidence de la République, occupée par François Mitterrand au moment du génocide, est également monté à la tribune.

"Il y a eu des pressions considérables pour que ce colloque n'ait pas lieu" a-t-il déploré, assurant que "personne à (sa) connaissance n'a jamais dit ou écrit qu'il n'y avait pas eu de génocide des Tutsi".

"Exercice délicat"

Vendredi, le président du Sénat rwandais Augustin Iyamuremye avait demandé à son homologue français Gérard Larcher l'annulation de ce colloque, dans un courrier publié par le site Afrikarabia.

Interrogé samedi par l'AFP, la présidence du Sénat a souligné qu'elle n'organisait pas le colloque et que "les propos qui seront tenus n'engagent en rien ni le Sénat ni la présidence".

"Peu de sujets sont aussi clivants que le génocide des Tutsi au Rwanda et la politique de la France au Rwanda", a prévenu en ouvrant la réunion le Belge Olivier Lanotte, docteur en science politique, qui appelle à "dépassionner le débat".

"La recherche des responsabilités est un exercice délicat vu la tendance qu'ont certains observateurs d'assimiler trop souvent au négationnisme ceux qui s'engagent sur le terrain miné de la dénonciation des crimes du Front patriotique rwandais", au pouvoir depuis la fin du génocide, a ajouté ce chercheur, auteur de plusieurs ouvrages sur des pays de la région.

Pour le chercheur, si le FPR du président Paul Kagame porte "une part de responsabilité dans la montée des tensions", il ne peut pas "être tenu responsable du génocide".

Le président rwandais Paul Kagame avait salué mi-février un "esprit nouveau" et une "amélioration" dans les relations entre Paris et Kigali, longtemps empoisonnées par le génocide.

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