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Dix ans après, l'Ouest ivoirien toujours une poudrière


Des habitants roulent à moto dans le quartier "carrefour" de Duekué, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, le 9 octobre 2020.
Des habitants roulent à moto dans le quartier "carrefour" de Duekué, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, le 9 octobre 2020.

"La paix". Près d'une fosse commune où sont enterrées 11 personnes, l'inscription sur le mur d'un maquis en ruines du quartier "Carrefour" de Duekoué, l'une des grandes villes de l'ouest de la Côte d'Ivoire, s'est effacée avec le temps, dix ans après la crise post-électorale qui avait 3.000 morts.

Aujourd'hui, les habitants ont peur qu'une étincelle politique liée au scrutin présidentiel du 31 octobre ne fasse à nouveau exploser la "poudrière".

"On a peur que ca recommence", affirment en utilisant les mêmes mots plusieurs habitants de différentes origines ethniques.

L'Ouest, zone de cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial, a été l'un des points chauds de la crise de 2010-2011 née du refus de l'ancien président Laurent Gbagbo de reconnaitre sa défaite électorale face à l'actuel président Alassane Ouattara, qui brigue aujourd'hui un troisième mandat controversé. Plusieurs centaines de personnes y ont perdu la vie.

Sur fond de problèmes fonciers, la crise politique avait débouché sur des violences communautaires entre Gueré, l'ethnie locale, majoritairement pro-Gbagbo et habitants "allogènes", notamment des Dioulas (ethnie du Nord), majoritairement pro-Ouattara, et des immigrés burkinabè.

Les rebelles pro-Ouattara avaient ensuite commis des atrocités en envahissant la zone avant de prendre le pouvoir à Abidjan.

Les principaux acteurs politiques de 2010 sont toujours au premier plan: Alassane Ouattara et l'ex-président Henri Konan Bédié, devenu chef de l'opposition, sont candidats, tandis que les candidatures de Laurent Gbagbo et de l'ex-chef de la rébellion qui lui était opposée, Guillaume Soro (ex-allié de Ouattara devenu opposant) ont été invalidées.

Les Ivoiriens récupèrent les cartes de vote avant les élections de fin octobre
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Immigration et discours xénophobe

Mais surtout "les problèmes fonciers demeurent. C'est récurrent dans le Guémon (région de l'Ouest)", souligne sur place l'imam Mamadou Doumbia. "C'est de là que tout est parti" en 2010.

Mi-septembre, à Bangolo, (50 km au nord de Duekoué), une marche contre le troisième mandat de Ouattara a dégénéré en violences, des jeunes brûlant des camions miniers, symbole de la richesse qui "passe sous leur nez".

Et le discours xénophobe ressurgit.

"Il n'y a aucune activité ici. Ouattara n'a rien fait. Depuis qu'il est président, seuls les gens du Nord profitent", accuse Gervais Gaha, président des jeunes de Bangolo.

La terre est au centre des tensions. Les "autochtones" Guerés accusent les "étrangers" d'étendre leurs plantations au-delà des limites des terres qu'ils leur ont louées ou vendues.

De l'autre côté, les agriculteurs allogènes accusent les Guerés de vouloir leur reprendre les terrains qu'ils ont légalement acheté ou loué.

Les conflits sont permanents, mais la campagne électorale a enflammé les passions, quitte à tordre le cou à la réalité.

Marcellin Die, habitant de Carrefour, ancien cadre local du parti de Laurent Gbagbo, s'enflamme : "Ca suffit la tuerie des Guérés! Le peuple guéré est un peuple martyr. Duekoué est la ville martyre. Nous sommes fatigués des tueries du RHDP" (le parti de Ouattara).

Tout peut déraper

"Nous les Ivoiriens on veut notre pays ! Nous sommes étrangers chez nous. Le commerce est détenu par les partisans de Ouattara. Dans toute la zone, acheteur de cacao, de café c'est pour les Burkinabè. Ils ont reçu un fonds spécial de Ouattara", poursuit-il.

Du côté des agriculteurs allogènes, on accuse "certains Guerés" de se comporter comme de "petits rois" et de vouloir reprendre des terres une fois qu'elle ont été mises en valeur "avec notre sueur", explique un Burkinabè.

Les souvenirs de 2010 sont vivaces et alimentent les rancoeurs.

"Ils (les Guerés) ont fonctionné comme des milices. Ici à Duekoué, ils ont barré toutes les routes. Ils tuaient dans les corridors (barrages à l'entrée des villes). Quand les rebelles sont venus, ils se sont vengés. Ils n'ont pas fait de cadeau", témoigne l'imam Mamadou Doumbia, qui assure toutefois que des "campagnes de sensibilisation" auxquelles il a participé ont apaisé les esprits.

"Un soir, nous avons été envahis par des rebelles du Nord. Ils se sont mis à nous éliminer et tuer", témoigne le chef du village de Guitrozon, village à l'entrée de Duekoué, Zeabahi Maurice.

Son frère a été "égorgé" et sa nièce infirme été "fusillée" dans sa maison. Pourtant, cet ancien gendarme de 75 ans, a oublié "toute idée de vengeance" et affirme travailler "du samedi au samedi" pour que les différends individuels ne se transforment pas en affrontements communautaires.

Son village de 1.400 habitants autochtones accueille une cinquantaine de "campements" d'allogènes, situés sur les exploitations de cacao. Un "vol", une "question de femmes", une bagarre et tout peut déraper. "La population dit alors 'On ne veut plus de ces gens là! Il faut les chasser'", explique-t-il.

"L'important, c'est la justice. Partout ou il y a injustice, il y a désordre. Le problème de la Côte d'Ivoire en général c'est la confiance. Il faut la rétablir".

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