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Quand le football est un emploi comme un autre dans un bidonville kényan


Un bidonville au Kenya, le 1 juin 2016. (VOA/Ombuor)
Un bidonville au Kenya, le 1 juin 2016. (VOA/Ombuor)

A Kibera, véritable océan de bicoques dépareillées aux rues jonchées de déchets à l'odeur nauséabonde, cette vie pourrait presque être assimilée à du luxe: 80% de la population n'y a pas accès à l'électricité, et nombreux sont ceux qui survivent avec moins d'un euro par jour.

A 20 ans, Henry Eshiboko s'estime privilégié. Il vit avec sa femme et leur bébé dans une pièce sans fenêtre de 9m2 disposant d'une prise de courant et d'un accès à l'eau à moins de dix mètres de la porte d'entrée.

Mieux encore: ses toits et murs en tôle, maintenus par de solides poutres en bois, ne fuient pas lorsqu'il pleut!

"Tout cela, c'est grâce au football", explique cet habitant de Kibera, un des plus grands bidonvilles au monde, au coeur de la capitale kényane Nairobi. "Avec la prime d'entraînement, 300 shillings (2,70 euros) quatre fois par semaine, je nourris ma famille et je paye une partie du loyer".

"Les primes de match - 3.000 shillings (27 euros) pour une victoire à l'extérieur, 2.500 à domicile -, nous permettent d'acheter des vêtements, des ustensiles de cuisine ou quelques extras. Au moment où je vous parle, mon épouse est même chez le coiffeur", sourit ce grand gaillard, dont le visage aux traits saillants s'illumine dès qu'il s'agit de ballon rond ou de sa famille.

La vie d'Henry s'est améliorée au fil des primes de match. Promus trois années d'affilée, les Black Stars sont désormais la meilleure équipe du bidonville. Ils disputent cette année la National Super League (2e division). "Certains de nos matches passent même à la télévision", explique Henry.

L'équipe végétait il y a quelques années dans les divisions inférieures. Mais le club s'est depuis restructuré, et a trouvé les moyens de financer des primes et amélioré son recrutement, explique l'entraîneur, Godfrey Otieno, ancien joueur professionnel ayant décidé de rester vivre dans son Kibera natal "pour pouvoir donner aux jeunes".

"Avant, il y avait souvent 6 ou 7 joueurs à l'entraînement, pas plus", raconte-t-il, soulignant que demander une disponibilité quatre matinées par semaine ainsi que les week-ends, sans compensation financière, "était difficile". "Mais maintenant, tout le monde est là, et à l'heure".

Revanche sur le destin

A leur niveau, les joueurs vivent l'ascension des Black Stars comme une revanche sur le destin.

"Ce n'est pas parce qu'on vient de Kibera qu'on est incapable de réaliser quoi que ce soit, ou qu'on ne peut pas avoir d'ambitions", tonne Henry. "Quand on parle de Kibera, on parle généralement de criminalité, de drogue, de pauvreté. Nous avons certes nos problèmes, mais grâce au foot, on prouve que Kibera, c'est bien plus que cela".

"On aime l'esprit de cette équipe, ce sont des gens qui viennent de Kibera qui jouent et nous représentent", assure Bildad Ilondounga, ardent supporter des Black Stars. "Quand on regarde le terrain, on voit nos voisins jouer".

D'autant que la popularité du club tient aussi à sa dimension sociale. Les joueurs rendent régulièrement visite à des familles dans le besoin pour donner vêtements et nourriture, et une partie du maigre budget des Black Stars est versée à une équipe d'enfants du bidonville, les Slum Soka.

"Parfois, ça m'arrive de prendre le bus et de ne pas devoir payer le trajet, parce que les gens disent: +C'est un Black Star+", rigole Eddy Odhiambo, attaquant de 21 ans.

Mais la dimension sociale bénéficie aussi aux joueurs, qui peuvent notamment apprendre le français grâce à un partenariat avec l'Alliance française. Henry rêve dès lors de jouer à Monaco, tandis qu'Eddy se contentera de "n'importe quel club, en France ou en Angleterre, parce qu'on y parle des langues que je parle ou que j'apprends".

Et leur entraîneur de glisser: "S'il y a 1 ou 2 joueurs dans cette équipe qui peuvent un jour aller jouer en Europe, l'objectif serait atteint".

Trop cher pour les fans

Mais le succès apporte son lot de défis. Le club, au blason noir et rouge, doit désormais financer des déplacements de plus en plus longs à travers le pays, un terrain aux normes de la deuxième division, et poursuivre sa professionnalisation.

Le club a été quasi exclusivement financé ces dernières années par un instituteur français basé à Nairobi et ayant pris à bras-le-corps le développement du club. Mais cette aide et celle de sponsors ayant rejoint le club ne suffiront pas pour couvrir le budget de cette saison, estimé à 7 millions de shillings (64.000 euros).

"Nous voulons offrir des contrats aux joueurs, comme les autres équipes de National Super League, mais ce n'est pas possible", regrette Godfrey, notant que les Black Stars se frottent cette année à des équipes aux budgets bien plus conséquents.

Dans ces conditions, l'acclimatation à la seconde division se révèle compliquée, et malgré un niveau de jeu en progrès constant, les Black Stars ont perdu quatre de leurs cinq premiers matches. "Ca veut dire moins de primes, c'est dur vu notre situation", soupire Henry.

Les supporters aussi font les frais de ce succès. Les matches pouvaient attirer jusqu'à 4.000 spectateurs lorsqu'ils jouaient au coeur de Kibera il y a quelques années. Mais les matches à domicile sont désormais joués de l'autre côté de la ville, sur un terrain aux normes.

Godrey peste: "L'aller-retour en bus coûte environ 200 shillings (1,80 euro), c'est une somme que beaucoup de fans ne peuvent pas se permettre".

Avec AFP

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