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Pour les femmes afghanes, des refuges à l'abri des coups


Participantes à un forum sur la violence contre les femmes, le 15 mai 2017 à Kaboul en Afghanistan
Participantes à un forum sur la violence contre les femmes, le 15 mai 2017 à Kaboul en Afghanistan

Elle tient son bébé comme un paquet. Son petit visage figé, le regard perdu dans de mauvais souvenirs, elle se lance d'une voix ténue: puisqu'elle apprend à lire, elle espère devenir policière. "Pour défendre les femmes".

Malala revient de loin. Violée à 16 ans par un commandant insurgé dans la province du Wardak, limitrophe de la capitale afghane, cette orpheline ne pensait qu'à mourir en arrivant, enceinte de quatre mois, au Centre de protection des femmes à Kaboul.

Ce refuge géré par l'ONG Women for Afghan Women (WAW) s'applique depuis à lui redonner un avenir.

Derrière une palissade anonyme, dans un quartier résidentiel, la maison ne laisse rien paraître de sa vocation. Des caméras surveillent discrètement les entrées. Les voisins curieux sont gentiment éconduits.

"Personne n'entre ici. Même nos employés (masculins) ne savent pas où se trouve le centre", ouvert en 2007, affirme Najia Nassim, directrice de WAW en Afghanistan (l'ONG a une branche à New York). "Ce lieu doit rester confidentiel".

Cette extrême prudence est fondée: la plupart des femmes réfugiées ici sont en danger de mort pour avoir fui mariages précoces, maris violents et belles-familles abusives.

Elles arrivent traumatisées, parfois grièvement blessées - comme Mahbooba, ébouillantée par son époux las d'entendre vanter sa beauté.

- Records de violence -

Une trentaine de refuges ont été créés en Afghanistan depuis la fin du régime taliban en 2001, la plupart par WAW dans treize provinces, avec le soutien financier de l'ONU et de l'Europe: une rare mais réelle réalisation, dans l'un des pires pays au monde en matière de droits des femmes -- il gît au 152e rang (sur 155 pays) de l'Index mondial de l'inégalité des genres.

"Avant les refuges, il n'y avait rien pour ces femmes en fugue", souligne Benafsha Efaf, directrice de WAW pour la province de Kaboul.

"Les familles confiaient ces filles qui leur avaient fait honte au malek (le conseil des anciens du village, NDLR), qui leur faisait subir de nouvelles violences", explique-t-elle. "Nous sommes leur dernière chance et leur ultime espoir."

Selon les données de l'ONU-Femmes, agence spécialisée des Nations unies, 87% des femmes afghanes subissent des violences sous une forme ou une autre durant leur vie, dont 62% plusieurs fois. Le système traditionnel sanctifie la domination masculine et quatre décennies de conflit ont exacerbé la violence jusqu'au sein des foyers, note l'ONU-Femmes.

Sans compter les pratiques qui font des filles, souvent très jeunes, une monnaie d'échange pour régler une dette ou acquérir une nouvelle épouse, note Benafsha Efaf.

- Recluses, par sécurité -

Ce fut le sort d'Aïcha, 15 ans, ramassée à six ans par la police dans une maison close: vendue après la mort de sa mère par son père qui voulait se remarier, l'enfant était prostituée par ses "propriétaires".

"J'étais trop petite pour avoir autant de problèmes dans ma vie", confie-t-elle en se tortillant sous son châle rose poupée. "Mais ici, tout le monde a des soucis et je me dis souvent, +Aïcha, tu n'es pas seule, (ces femmes) elles sont comme ta mère et tes soeurs+".

Quand l'AFP l'a visité, le centre accueillait 45 femmes et dix-huit enfants, la plupart envoyés par les institutions du pays. "Depuis dix ans, nous avons sensibilisé la police, les procureurs, les ministères et même les mollahs", indique Benafsha Efaf. "C'est la police qui, le plus souvent, nous envoie" ces femmes en détresse.

La loi oblige la directrice du refuge à rechercher les familles. "Nous tentons de trouver une solution via la médiation. Si on échoue, on transmet l'affaire à nos juristes. Les femmes restent ici jusqu'à la résolution de leur cas, parfois quatre ans". Recluses pour leur sécurité.

En jeu, le plus souvent: la garde des enfants, systématiquement confiés au père par la loi afghane.

- 'Vendre nos filles' -

Humira, réfugiée au centre depuis six mois avec ses trois filles de 2 à 8 ans, a fui un mari héroïnomane qui la battait copieusement. "Avec toute cette violence, j'ai encore mal à la tête", raconte-t-elle. Elle attend la décision du juge et exclut d'abandonner ses enfants: "Il a juré de vendre nos trois filles pour se remarier."

Quand l'affaire est réglée et que personne ne les attend à l'extérieur - les liens familiaux sont généralement rompus - les pensionnaires du refuge rejoignent un Centre de transition, géré lui aussi par l'organisation WAW. Elles y séjournent de six mois à cinq ans, le temps de retrouver confiance en elles.

Elles peuvent en sortir pour suivre une formation scolaire ou professionnelle, voire travailler, mais y font surtout l'apprentissage de l'autonomie, vers la liberté. Certaines, brisées, n'y arriveront jamais, admet la directrice et psychologue, Wira Farawal. D'autres reprennent pied dans la société et la vie professionnelle, souvent en partageant un appartement avec d'anciennes pensionnaires du refuge et en vivant de petits travaux.

Malala, elle, reprend déjà confiance. Parmi cette collection de douleurs, elle a recommencé à parler, appris à lire et s'est habituée à ce bébé du viol qu'elle rejetait: conseillée, entourée, elle entrevoit désormais un avenir avec son fils, qu'elle a prénommé Nazif: "Propre".

Avec AFP

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