L'idéologue du régime Nuon Chea, 92 ans, "a eu une contribution significative à la commission des crimes", "il détenait le pouvoir de décision ultime" avec Pol Pot, a relevé le juge Nil Nonn. Quant à Khieu Samphan, le chef de l'Etat du "Kampuchéa démocratique", aujourd'hui âgé de 87 ans, il était "le visage" du mouvement ultra-maoïste.
Caché derrière ses habituelles lunettes noires, Nuon Chea a écouté le verdict depuis une cellule spécialement aménagée, en raison de sa santé fragile, dans le tribunal. Khieu Samphan était dans la salle.
Plusieurs centaines de personnes, dont des membres de la minorité musulmane cham et des moines bouddhistes, étaient également présents. "Les Khmers rouges ont assassiné près de cinquante de mes proches. Je souffre tellement", a déclaré à l'AFP Math Sos, un musulman cham de 75 ans.
Lors de ce second procès, qui sera probablement le dernier intenté contre d'ex-membres du régime ultra-maoïste, une centaine de témoins sont passés à la barre pour dénoncer décapitations, viols, mariages forcés et cannibalisme.
Les deux accusés ont nié les atrocités.
Bien que les exactions aient été perpétrées à très grande échelle entre 1975 et 1979, le Premier ministre actuel, Hun Sen, lui-même ancien cadre khmer rouge, a demandé à plusieurs reprises qu'aucun autre suspect ne soit renvoyé devant le tribunal, insistant sur le fait que cela pourrait provoquer des troubles dans le royaume.
Nuon Chea et Khieu Samphan comparaissaient depuis 2011 devant cette juridiction. Mais pour tenter d'accélérer la procédure, au vu de l'étendue des charges, les débats ont été scindés en plusieurs procès.
A l'issue du premier, qui se concentrait sur "les crimes contre l'humanité", les deux hommes ont été condamnés en 2014 à la prison à perpétuité, une peine confirmée en appel en 2016.
Les deux peines de prison à perpétuité ont été confondues.
Le second procès portait principalement sur des accusations de "génocide".
- Le "génocide" retenu -
Pour la première fois, ce qualificatif a été retenu par le tribunal international concernant les actions à l'encontre des Vietnamiens, de la communauté musulmane des Chams et d'autres minorités religieuses.
La chambre a jugé que "le crime de génocide était établi", a souligné Nil Nonn. L'objectif était d'"établir une société athée et homogène (en) supprimant toutes les différences ethniques, nationales, religieuses, raciales, de classe et culturelles", a-t-il relevé.
Ce qualificatif ne concerne pas les massacres, fussent-ils de masse, des Khmers par les Khmers qui ne sont pas considérés par les Nations unies comme un génocide.
Autodafés de Corans, noyades collectives: entre 100.000 et 500.000 chams, sur un total de 700.000, ont été tués entre 1975 et 1979.
Pour Youk Chhang, chef du Centre de Documentation du Cambodge, un organisme de recherche qui a fourni de nombreuses preuves au tribunal, ce verdict "pourrait aider à refermer un chapitre horrible de l'histoire cambodgienne".
Ce jugement va avoir "un poids très important pour le Cambodge, la justice pénale internationale et les annales de l'Histoire", a déclaré de son côté David Scheffer, expert auprès du secrétaire général de l'ONU lors des procès.
A l'ouverture du procès, en juin 2011, quatre anciens responsables étaient dans le box des accusés. Mais la ministre des Affaires sociales du régime Ieng Thirith, considérée inapte à être jugée pour cause de démence, a été libérée en 2012. Elle est décédée depuis. Son mari Ieng Sary, ancien ministre des Affaires étrangères, est mort en 2013 à 87 ans.
Hormis Nuon Chea et Khieu Samphan, le tribunal a déjà condamné un autre accusé, Douch, de son vrai nom Kaing Guek Eav, chef de la prison S-21, ou Tuol Sleng, où 15.000 personnes ont été torturées avant d'être exécutées en dehors de Phnom Penh, dans les tristement célèbres "Killing Fields". Il a lui aussi été condamné en appel en 2012 à la prison à perpétuité.
Pol Pot, le "frère numéro un", est quant à lui mort en 1998 sans avoir été jugé.
Avec AFP