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Le nyaope, nouveau fléau des townships sud-africains


Diepsloot, près de Johannesburg : un des townships les plus dangereux en Afrique du Sud (Photo: D. Taylor / VOA)
Diepsloot, près de Johannesburg : un des townships les plus dangereux en Afrique du Sud (Photo: D. Taylor / VOA)

Caroline avait baptisé son fils aîné Tshepo. "Ca veut dire espoir, mais maintenant je ne sais plus...", dit-elle. Depuis trois ans, Tshepo fume du nyaope, un mélange très addictif à base de marijuana et d'héroïne qui fait des ravages parmi les adolescents déscolarisés des townships sud-africains minés par le chômage.

Dans la région de Johannesburg et de Pretoria, le poumon économique du pays, le nyaope progresse depuis environ une dizaine d'années, et avec lui, l'exaspération des familles qui dénoncent régulièrement l'impuissance des pouvoirs publics.

Il n'y a pas ou peu de données officielles car jusqu'en 2014, cette drogue de la rue, mélangée à des produits chimiques divers et vendue environ 35 rands la dose (environ 2 euros), n'était pas inscrite au tableau des substances illégales.

"Le nombre croissant d'informations venant de la population, de la police, des travailleurs sociaux et agents de santé (...) atteste d'un problème à grande échelle", explique à l'AFP Mme Zuldyz Akisheva, représentante de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en Afrique australe.

"Il n'y a pas de chiffres formels mais c'est ce qu'on voit au quotidien en tant que travailleur social", observe Jan Masombuka, chercheur à l'université d'Afrique du Sud Unisa. "A mon cabinet, à Mabopane, dans le nord de Pretoria, les parents en particulier se plaignent beaucoup. Si vous allez à la gare, vous verrez ces jeunes tous les jours, qui viennent là et ne vont pas à l'école".

- Bien plus dangereux que le 'dagga' -

En larmes, Caroline, 43 ans, raconte sa descente aux enfers pour elle et son fils de 19 ans, né après la fin du régime d'apartheid mais littéralement clochardisé par le nyaope.

"Je pense qu'il a commencé à l'école, on m'appelait tout le temps parce qu'il ne travaillait pas ou séchait la classe. Il s'est mis à dormir ailleurs (...) Quand j'ai 2 rands, il les prend. Comment faire pour l'aider si on ne peut pas le forcer à se soigner ?", demande-t-elle.

A Simunye, à une heure de route de Johannesburg, le nyaope est devenu la hantise des familles au sein du lotissement post-apartheid typique où Caroline habite, qui comprend de minuscules maisons bâties par le gouvernement. Dans sa rue, au moins trois jeunes sont accros.

Elizabeth Hlathe, 64 ans, sa voisine, a vu son petit-fils, qu'elle a élevé après la mort de sa mère, rentrer brusquement à des heures impossibles, menaçant pour obtenir de l'argent, de la nourriture, volant le peu d'objets qu'il y avait dans la maison, jusqu'aux casseroles, pour les revendre, cambriolant aussi chez les voisins. La grand-mère a fini par appeler elle-même la police.

"C'est un énorme problème. Des gens viennent me voir tous les jours pour m'en parler", observe Jacob Molathwa, 59 ans, conseiller municipal du quartier. "Il y avait un peu de +dagga+ (surnom du cannabis en Afrique du Sud), le volume était gérable et on peut s'en sortir facilement. Mais ce nyaope, c'est très dangereux", souligne-t-il.

- 'Comme un ver qui ronge dedans' -

De 2008 à 2015, le marché du travail s'est dégradé pour les Sud-Africains de 15 à 34 ans. Plus d'un sur trois est aujourd'hui au chômage, et davantage parmi la majorité noire. Quant aux 15-19 ans, un tiers vit dans un foyer où personne n'a d'emploi.

A Simunye, Ramadan est un cas rare. Il a réussi à se sortir tout seul du nyaope. "C'est difficile, j'ai failli mourir et encore maintenant, je prends des médicaments pour stopper les crampes et les douleurs au coeur", dit-il. En attendant un hypothétique travail, il passe ses journées à la mosquée.

Pendant des mois, il a squatté au milieu des gravats dans une construction inachevée avec deux autres jeunes d'une vingtaine d'années qui fument toujours et dont la seule obsession au réveil est s'acheter du nyaope. Ils vont par exemple pousser les caddies des clients au supermarché contre quelques rands. Ils ne peuvent rien avaler avant d'avoir fumé.

A condition de rester anonyme, l'un d'eux raconte que la première fois, il a trouvé ça "super": "Tu montes plus haut qu'avec de l'herbe" mais à la longue, "c'est pas une vie agréable", confie-t-il.

"Parfois, je m'endors en me disant que je ne veux plus fumer. Mais vers minuit, une heure, je sens comme un ver qui me ronge dedans (...). Je me réveille et j'ai envie de fumer", dit-il.

Assis sur un matelas déglingué, il s'exprime d'une voix pâteuse, le regard dans le vide, le corps secoué de tics sous ses vêtements tachés, il se ronge les ongles, se cure le nez pendant qu'il parle. Comme la plupart des jeunes fumeurs rencontrés, il a perdu très jeune ses parents et n'a nulle part où aller.

Avec AFP

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