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Livré à lui-même, le sud libyen en proie à des groupes armés étrangers


Marshall Khalifa Haftar, chef d'état-major libyen de l'armée nationale libyenne de l'est libyen, 2e à gauche, se tient avec sa délégation sur les marches de l'Elysée à la suite de la conférence internationale sur la Libye à Paris le 29 mai 2018.
Marshall Khalifa Haftar, chef d'état-major libyen de l'armée nationale libyenne de l'est libyen, 2e à gauche, se tient avec sa délégation sur les marches de l'Elysée à la suite de la conférence internationale sur la Libye à Paris le 29 mai 2018.

Laissé pour compte par les autorités rivales, le sud désertique de la Libye est une base prisée de groupes armés rebelles étrangers accusés d'y alimenter une insécurité croissante.

"Les cas d’enlèvements, de vols et de banditisme se sont multipliés", remarque Ali Akri Molia, commandant d'une unité chargée de la protection des installations pétrolières à Oubari (sud), blâmant l'opposition tchadienne.

Plongée dans le chaos depuis la chute en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye est dirigée par deux entités rivales: d'un côté le gouvernement d'union nationale (GNA) basé à Tripoli --qui contrôle l'ouest du pays--, et de l'autre un cabinet parallèle basé dans l'Est, soutenu par le maréchal Khalifa Haftar --à la tête d'une puissante force armée-- et un Parlement élu.

A l'instar de groupes jihadistes, des rébellions tchadienne et soudanaise ont profité de ces divisions pour établir leurs bases arrières dans le sud libyen, voisin de leurs pays, et s'y adonner à divers trafics.

Selon un récent rapport d'experts de l'ONU, ces groupes "cherchent à renforcer leur présence en Libye à des fins lucratives".

Ils bénéficient de frontières poreuses et du soutien de communautés et tribus vivant à cheval entre ces pays. Une partie des Toubous, qui vivent en Libye et au Tchad, sont ainsi impliqués, selon des experts, dans la contrebande de marchandises et l'immigration clandestine.

Mohamad Emdaouar, député au Parlement libyen pour le Sud, affirme que les groupes de l'opposition tchadienne sont présents en Libye dans une vaste zone allant de Koufra, près du Tchad, jusqu'au bassin de Mourzouk, à plus de 400 km de la frontière tchadienne.

Ils "occupent des maisons et ont leurs propres voitures. Personne ne peut les aborder", regrette-t-il.

Un temps accusés d'être utilisés comme mercenaires au profit des camps rivaux libyens, les groupes rebelles tchadiens sont désormais montrés du doigt par les autorités et les tribus pour une recrudescence des violences dans le Sud.

Démentis des rebelles tchadiens

Le commandant Molia évoque notamment l'enlèvement mi-octobre de membres d'une tribu près d'Oum al-Araneb.

Ces derniers, raconte-t-il, ont été libérés par des groupes armés formés par des tribus de la région qui ont attaqué les "opposants armés tchadiens" détenant les otages. Il regrette que les autorités de l'Est et le GNA n'aient fourni aucun appui aux Libyens qui ont perdu 10 des leurs.

Joint par l'AFP, un des otages libérés, Mohamed Ibrahim Mohamed, a indiqué que les ravisseurs, membres de l'opposition tchadienne, avaient réclamé des rançons à leurs familles.

Deux groupes tchadiens présents en Libye ont eux démenti toute implication.

"Nous démentons catégoriquement", a dit à l'AFP Kingabé Ogouzeimi de Tapol, secrétaire général du Commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), mouvement qui avait lancé en août une offensive contre l'extrême-nord tchadien avant de se replier en Libye.

L'Union des forces de la résistance (UFR), autre groupe tchadien basé en Libye, dément également, en désignant des commanditaires libyens. "Il y a des Tchadiens (...) qui travaillent pour des Libyens, pour des tribus. Ce ne sont pas des rebelles tchadiens" qui ont décidé de l'enlèvement, selon Youssouf Hamid, porte-parole de l'UFR.

La Mission de l'ONU en Libye a condamné "les violations perpétrées par des groupes armés étrangers", appelant "les autorités libyennes à prendre rapidement des mesures efficaces pour lutter contre l'anarchie dans la région".

"Très dangereux"

Mercredi, un conseil des ministres à Tripoli a été consacré au problème. "Ce qui se passe dans le Sud est très dangereux", a souligné le vice-Premier ministre du GNA, Abdessalam Kajman, prônant la "fermeté pour affronter ces bandes de l'opposition tchadienne" et soudanaise.

Le sud libyen échappe de fait au contrôle du GNA et de ses rivaux de l'Est, même si l'Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée du maréchal Haftar dit y être présente.

Ce dernier a ordonné une opération militaire pour combattre "les bandes criminelles et l'opposition tchadienne qui s'adonnent aux enlèvements et aux extorsions et en tirent d'importants revenus qui pourraient financer des actes terroristes", a déclaré à l'AFP le général Ahmed al-Mesmari, porte-parole de l'ANL.

Une récente rencontre entre le maréchal Haftar et le président tchadien Idriss Déby Itno à N'Djamena, s'inscrit dans ce cadre, selon lui.

Mais "le territoire (du Sud) est vaste, difficile et (...) ne promet pas un dividende politique forcément très substantiel", décourageant les principales forces libyennes de s'y engager, remarque Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye à l'Université Paris-VIII.

N'Djamena et Paris s'inquiètent aussi d'une présence jihadiste qui pourrait menacer encore davantage le Sahel. A leurs yeux, "Haftar est censé rétablir l’ordre sur ce vaste territoire", poursuit M. Harchaoui. Mais si "le maréchal a multiplié les déclarations rassurantes, la réalité reste préoccupante".

Avec AFP

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