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Les salafistes sont de retour au Maroc pendant les législatives


Une femme quitte l'isoloir après avoir voté à Tifelt, Rabat, Maroc, le 4 septembre 2015.
Une femme quitte l'isoloir après avoir voté à Tifelt, Rabat, Maroc, le 4 septembre 2015.

C'est un retour discret, mais remarqué. Une poignée de salafistes se présentent pour plusieurs partis aux élections législatives du 7 octobre au Maroc, scellant leur réintégration dans le jeu politique, initiée depuis plusieurs années par le palais.

Ils sont quelques dizaines, sur presque 7.000 candidats. Les premiers noms ont couru dans la presse locale fin août. Certains ne se sont finalement pas présentés, comme Mohammed Fizazi, une figure du salafisme marocain. Une autre célébrité, Hammad Kabbaj, candidat pour le PJD (parti islamiste qui dirige le gouvernement de coalition depuis 2011), a vu sa candidature invalidée pour "extrémisme".

Mais d'autres seront bien là. Comme l'emblématique Abdelwahab Rafiki, alias Abou Hafs. Cet ex-prêcheur avait été condamné à 30 ans de prison après les attentats islamistes de Casablanca en 2003 (45 morts). Gracié en 2012, il sera candidat pour l'Istiqlal, le parti nationaliste historique.

Les salafistes courent sur diverses étiquettes. Selon la presse locale, même les socio-libéraux du PAM (Parti authenticité et modernité), qui se posent en rempart contre l'islamisme, auraient essayé de se concilier les bonnes grâces d'un vieux cheikh, al-Maghraoui, fameux pour avoir rendu une fatwa autorisant le mariage des fillettes de 9 ans.

A l'instar d'Abou Hafs, plusieurs des candidats salafistes ont fait de la prison après les attentats de Casablanca. Seuls ceux qui ont été réhabilités par la justice peuvent se présenter au scrutin du 7 octobre, ce qui a sans doute contribué à limiter le nombre des candidatures.

Pour les partis, il s'agit de ratisser large dans l'électorat, dans une société encore très conservatrice. "On assiste pour le moment d'avantage à un essai d'intégration par les partis plutôt qu'à un raz de marée de candidatures", résume l'hebdomadaire TelQuel.

Nouvelle approche

Le salafisme, doctrine qui prône un retour à l'islam des origines, a une longue histoire au Maroc, où il participa à la lutte pour l'indépendance.

Dans les années 2000, sont apparus les premiers partisans du jihad armé, avec des idéologues comme Fizazi et le cheikh Omar Haddouchi. Condamnés, emprisonnés puis libérés, ils clament désormais leur repentir, leur rejet de la violence et leur allégeance au "commandeur des croyants", le roi Mohammed VI.

Après la répression post-attentat de Casablanca, de nombreux militants salafistes ont été ainsi, année après année, graciés par le roi et réinsérés.

"Ces pardons témoignent d'une amélioration dans les relations entre le régime et un certain nombre de dignitaires salafistes, et d'une refonte partielle de l'approche du gouvernement dans la lutte contre l'extrémisme", selon une analyse de la Fondation Carnegie.

Cette approche "consistait à promouvoir des formes marocaines du soufisme et ses confréries, comme un contrepoids" à l'extrémisme. Mais ces confréries, comme la Boutchichiya, "ne sont pas politisées et se sont avérées au final peu capables, malgré le soutien de l'Etat, de fournir un courant socio-religieux assez puissant pour constituer une alternative au salafisme, surtout dans sa version jihadiste".

Les salafistes ont en fait "toujours été une arme de l'Etat pour combattre les islamistes ou les gauchistes", selon l'universitaire Abdelhakim Aboullouz.

Deux moments ont marqué leur réhabilitation publique: une visite royale en 2014 dans une mosquée où prêchait Fizazi. Et un séminaire en 2015 du Conseil suprême des oulémas (savants religieux) consacré au "concept" de salafisme, dont les conclusions ont été présentées au souverain.

"Il y a une volonté du palais de montrer que les salafistes, qui vouaient le roi aux gémonies, sont rentrés dans le rang. Il faut donc les récompenser", analyse pour l'AFP l'historien Pierre Vermeren.

"Ca a été un long processus: ils ont insulté la monarchie, favorisé les attentats, ils ont été jugés et condamnés, puis libérés, ils se sont repentis et ont reconnu la commanderie des croyants. Et maintenant, on prépare leur réintégration dans la vie publique", énumère M. Vermeren.

"Il s'agit là de la politique la plus classique et ancienne du Makhzen (le palais, ndlr), qui après avoir sanctionné les déviants, les réintègre."

L'objectif stratégique est de "disperser les voix de l'électorat islamiste aux législatives, et d'essayer de dégonfler la bulle PJD", selon M. Vermeren. N'est-ce pas jouer avec le feu? "Non. On appelle ça tout simplement faire de la politique."

Avec AFP

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