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Les familles de victimes des violences de 2016 réclament toujours justice


Un garçon se couvre le visage pour se protéger des cendres qui couvent d'un entrepôt brûlé de Bitam dans le nord du Gabon, près de la frontière camerounaise, le 5 septembre 2016.
Un garçon se couvre le visage pour se protéger des cendres qui couvent d'un entrepôt brûlé de Bitam dans le nord du Gabon, près de la frontière camerounaise, le 5 septembre 2016.

Deux ans et demi après les violences liées à la présidentielle de 2016 au Gabon, des familles de victimes réclament toujours justice, malgré la décision de la Cour pénale internationale (CPI) de ne pas ouvrir d'enquête sur ces événements.

Une photo de son petit frère et une plainte auprès du procureur de la République à la main, Serge Tarcisius Mbadinga n'a plus d'espoir de retrouver son frère, Gildas Tchinga.

Cet ébéniste de 33 ans a disparu le 31 août 2016 "au QG de (l'opposant) Jean Ping", selon l'avis de recherche que M. Mbadinga affiche sur son téléphone.

"Pas de suite: comment voulez-vous que justice soit faite?", déplore ce seul témoin qui a accepté de parler à visage découvert à l'AFP des violences post-électorales d'août et septembre 2016.

Depuis plus de deux ans, la justice gabonaise n'a en effet pas donné suite aux plaintes des familles des victimes, et le gouvernement a toujours refusé toute demande d'enquête indépendante, en dehors de celle de la CPI.

Saisie par le gouvernement et l'opposition, la CPI s'était finalement déclarée incompétente en septembre 2018 et n'avait pas ouvert d'enquête sur ces violences.

Les éléments à la disposition de la CPI ne permettaient pas d'évoquer des "crimes contre l'humanité" ou "d'incitation au génocide", comme inscrit sur les plaintes, selon la Cour.

La CPI notait cependant que ses conclusions "ne sauraient en aucun cas masquer la gravité des actes de violence et des violations des droits de l'Homme qui semblent avoir été commis au Gabon".

- Violences sans précédent -

Manifestations, interpellations par centaines, incendie partiel de l'Assemblée nationale par des manifestants: après l'annonce de la réélection du président Ali Bongo Ondimba le 31 août 2016, le Gabon avait connu des violences sans précédent.

Un assaut avait été donné par la Garde républicaine dans la nuit du 31 août au 1er septembre contre le QG de Jean Ping, qui revendiquait la victoire, pour y débusquer "des personnes armées", selon Alain-Claude Bilie By Nze, alors porte-parole du gouvernement.

En septembre 2016, les forces de sécurité patrouillaient encore dans les rues, se souviennent des témoins.

Des "gens habillés en noir (...) ont commencé à tirer sur les gens dehors, et mon petit frère était dehors", se rappelle ainsi une jeune Gabonaise qui, sous couvert d'anonymat, affirme qu'il a été tué sur le coup.

Une autre femme présente au QG de Jean Ping, dit y avoir compté "une quinzaine de corps". Elle-même affirme avoir été "bastonnée" et "déshabillée" par des forces de sécurité lors d'une manifestation.

Annie Léa Meye, alors militante de l'opposition, affirmait dans un reportage sur une chaîne internationale que l'opposition avait compté "vingt-neuf décès, dont vingt-trois clairement identifiés" dans l'attaque du QG de l'opposant.

Une liste de 31 morts, tous authentifiés par leurs familles, a été compilée par des organisations de la société civile, qui affirment que de nombreux corps n'ont pas pu être retrouvés et ont été enterrés secrètement dans des "fosses communes".

- "De 3 à 300 morts" -

L'opposition et la société civile accusent le gouvernement de cacher le nombre de morts, avançant - sans preuve - des chiffres de plusieurs dizaines de personnes tuées dans tout le pays.

Les autorités ne reconnaissent qu'un bilan de trois morts lors des violences post-électorales.

"Le même épisode fait l'objet de versions très contradictoires par le gouvernement ou par l'opposition (...). On est dans une fourchette qui va de 3 à 300" morts, avait déclaré à l'AFP en juin 2017 le chef de la section de l'analyse des situations à la CPI, Emeric Rogier.

A l'annonce de la décision en septembre 2018 de la CPI de ne pas ouvrir d'enquête, l'ex-porte parole du gouvernement, Guy-Bertrand Mapangou, s'était rapidement félicité de la décision "juste et courageuse de la CPI qui confirme la version des faits donnée par le gouvernement".

"Le débat sur les événements post-électoraux de 2016 est clos", avait-il estimé.

L'avocat français Emmanuel Altit, dit avoir pourtant rassemblé pour la Cour les dossiers de "plusieurs dizaines" de plaignants, dénoncant "les manœuvres des autorités pour cacher l'assassinat de nombreux civils".

"Des établissements médicaux et des morgues auraient dissimulé des informations aux membres des familles concernées quant au nombre de cadavres conservés dans leur locaux", relevait en décembre 2017 la CPI en rendant compte de son examen préliminaire.

Me Altit espère toujours que la CPI puisse un jour "réexaminer l'affaire" à la lumière d'éléments nouveaux, mais place aussi ses espoirs dans les quelques plaintes déposées auprès de justices nationales, en France notamment.

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