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Les Camerounais ont voté pour leurs députés, sans grand enthousiasme et sous tension


Une électrice participe au choix des députés, à Yaoundé le 9 février 2020. (VOA/Emmanuel jules Ntap)
Une électrice participe au choix des députés, à Yaoundé le 9 février 2020. (VOA/Emmanuel jules Ntap)

Les Camerounais ont voté dimanche pour les législatives, sans enthousiasme apparent dans un pays au pouvoir verrouillé depuis près de quatre décennies par le président Paul Biya et en proie à de sanglants conflits, dans l'Ouest anglophone et dans l'Extrême-Nord.

Scrutin législatif et municipal sans grande affluence au Cameroun
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L’appel au boycott du double scrutin s’est imposé comme un sujet majeur le jour du vote. Même le président de la République Paul Biya, d’habitude taciturne, n’a pas manqué l’occasion d’en parler.

"Je saisis cette occasion pour demander à tous mes compatriotes de faire leur devoir en allant au vote contrairement aux appels au boycott de certains petits partis politiques. En tout cas, la démocratie au Cameroun avance à grand pas", a déclaré face à la presse, Paul Biya après avoir accompli son devoir citoyen.

L'enjeu : le niveau de participation

L'enjeu de ces élections à l'Assemblée nationale et pour les conseils municipaux réside donc essentiellement dans le niveau de participation, une partie de l'opposition ayant appelé au boycottage et les violences, depuis des années, ayant grandement dissuadé les électeurs d'aller aux urnes dans l'Ouest et le Nord.

En tout état de cause, dans ce pays d'Afrique centrale où 75% des quelque 24 millions de Camerounais ont moins de 35 ans et n'ont connu qu'un seul président - Paul Biya, 86 ans dont 37 au pouvoir -, le double scrutin, comme la campagne, n'a pas déplacé les foules.

À Yaoundé, l’affluence n’a pas été celle des grands jours. Dans les fiefs électoraux de l’opposition comme dans le 6e arrondissement. "Il y en rien, c’est un boycott général ici au lycée de Biyem-Assi", confie un président d’un bureau de vote à VOA Afrique. En 2018, ajoute-elle, "lors de l’élection présidentielle à cette même heure, nombreux électeurs avaient déjà campé pour attendre le début des dépouillements, mais regardez-vous la cour est vide".

A Buea, le chef-lieu du Sud-Ouest, l'une des deux régions où se concentre la minorité anglophone du pays, les bureaux de vote ont été quasiment déserts toute la journée. Policiers et soldats, déployés en nombre en ville, étaient presque les seuls à voter dans certains bureaux.

Dans quatre d'entre eux, après la clôture, le nombre de bulletins dans les urnes oscillait entre 10 et 50% des inscrits, selon un journaliste de l'AFP.

Mais ailleurs, dès l’ouverture des bureaux de vote, des électeurs ont bravé le mot d’ordre du boycott. Dans l’enceinte de l’école publique d’Ekounou dans le 4e arrondissement, Jean-Claude Poutcheu a voté peu avant 10 heures TU. "J’ai l’obligation de voter, je ne fais pas du suivisme politique, j’ai des convictions personnelles pas collectives en tant que humble citoyen", explique-t-il à VOA Afrique.

C’est avec le même enthousiasme que Miriam Ngo Njeg a accompli son devoir citoyen, "je vote parce que c’est mon devoir même s’il y’a le mot d’ordre de boycott. Qui donne même ce mot d’ordre de boycott ? Je ne les comprends pas".

Toutefois, lors du dépouillement des voix dans la soirée, il s’est dégagé un fort taux d’abstention dans de nombreux bureaux de vote de la capitale politique.

Une élection satisfaisante pour l'administration

Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale faisant le point du déroulement du double scrutin, à Yaoundé le 9 février 2020. (VOA/Emmanuel jules Ntap)
Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale faisant le point du déroulement du double scrutin, à Yaoundé le 9 février 2020. (VOA/Emmanuel jules Ntap)

Dans une déclaration à la presse, le ministre de l’Administration territoriale parle plutôt d’une participation satisfaisante au double scrutin d’hier. "Le mot d’ordre de boycott lancé par certains responsables de partis politiques qui, en réalité, ont eu peur de participer aux élections, a été ignoré par l’immense majorité des Camerounais", soutient Paul Atanga Nji.

Il cite notamment les rapports des autorités administratives après la fermeture des bureaux de vote qui d’après lui confirment que, "les Camerounais se sont massivement rendus aux urnes pour exercer leur droit de vote".

Lors d'une conférence de presse, le directeur général de la commission électorale, Erik Essousse, a déclaré que "les opérations de vote se sont achevées sur l'ensemble du territoire national dans les 26.336 bureaux de vote dans le calme, l'ordre et la discipline".

Selon les sources locales de VOA Afrique, quelques échauffourées ont néanmoins été enregistrées entre les séparatistes anglophones et les forces de défense et de sécurité. "Des coups de feu ont été entendus aux premières heures de dimanche à Kumba", relate une fonctionnaire dans le Sud-Ouest. Faisant naître la psychose.

Selon l'AFP, les violences redoutées dimanche n'ont pas eu lieu ou n'ont pas été rendues publiques. Seuls des échanges de tirs entre soldats et séparatistes ont empêché le vote à Muyuka, un fief séparatiste du Sud-Ouest, sans qu'aucun bilan ne soit annoncé.

Le gouverneur de la région de Kumba, Bernard Okala Bilaï, estime cependant que les populations ont pu braver cette peur. Selon lui, "il n’a été signalé aucune perturbation dans les bureaux de vote. Les populations du Sud-Ouest durant la campagne se sont mobilisées pour communiquer et dire à leurs frères de sortir ce jour et aller choisir leurs nouveaux députés, leurs nouveaux maires".

Des inquiétudes planaient également sur la sécurité du vote dans l'Extrême-Nord, où les attaques du groupe jihadiste Boko Haram, originaire du Nigeria voisin, se sont intensifiées ces trois derniers mois. Mais rien n'a filtré dimanche sur d'éventuels incidents.

A Yaoundé, dans le grand bâtiment austère de l'école du quartier populaire musulman de la Briqueterie comme dans les locaux chics et hyper-sécurisés de l'établissement bilingue où le président Biya est venu voter, les électeurs sont venus au compte-gouttes, selon un journaliste de l'AFP qui a visité au total sept bureaux.

Dans les deux derniers, après la fermeture, les urnes étaient aux trois quarts vides, avec 55 bulletins sur 262 inscrits dans l'un, 71 sur 258 dans l'autre. Et une majorité écrasante pour le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) de M. Biya dans les deux cas après un rapide dépouillement.

Double scrutin sous haute sécurité au Cameroun
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Qui incarnera l'opposition ?

L'un des deux principaux partis d'opposition, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, challenger malheureux de Paul Biya à la présidentielle de 2018, avait appelé au boycott. Le RDPC est quasiment assuré de rafler la mise une nouvelle fois - il jouit déjà d'une majorité écrasante à l'Assemblée nationale: 148 sièges sur 180.

Outre la participation, et le possible changement de camp de quelques municipalités - dont la capitale économique, Douala -, c'est le visage de l'opposition - très divisée - dans la future chambre basse du Parlement, qui intéressera les Camerounais.

Alors que 49 partis s'opposent au pouvoir, en comptant les deux scrutins, les regards se tournent vers le premier d'entre eux représenté dans l'Assemblée sortante, le Social Democratic Front (SDF), avec ses 18 députés.

Le président de la République accomplissant son devoir citoyen, à Yaoundé le 9 février 2020. (VOA/Emmanuel jules Ntap)
Le président de la République accomplissant son devoir citoyen, à Yaoundé le 9 février 2020. (VOA/Emmanuel jules Ntap)

Mais le SDF, plutôt implanté dans les zones anglophones, est sous la pression des mouvements indépendantistes qui lui reprochent de préférer une solution fédéraliste avec la majorité francophone, rejetée catégoriquement par M. Biya.

Les résultats des municipales devraient être connu dans les 72 heures, et ceux des législatives au plus tard dans 20 jours.

Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où militaires et groupes armés indépendantistes anglophones s'affrontent depuis trois ans, les combats, mais aussi les exactions et crimes commis par les deux camps selon les ONG, ont fait plus de 3.000 morts depuis 2017 et forcé plus de 700.000 personnes à fuir leur domicile.

Seulement 5% et 15% des inscrits y avaient voté à la présidentielle de 2018 et des groupes armés ont appelé encore cette fois les populations à ne pas aller aux urnes. Et menacé ceux qui s'y risqueraient.

Avec AFP

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