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Les prisonniers politiques égyptiens victimes de "recyclage", ou la détention sans fin


Un policier égyptien près des tours de garde de la prison de Tora, dans la banlieue sud de la capitale égyptienne, Le Caire, le 11 février 2020.
Un policier égyptien près des tours de garde de la prison de Tora, dans la banlieue sud de la capitale égyptienne, Le Caire, le 11 février 2020.

Dans les prisons égyptiennes, surpeuplées et parfois violentes, les détenus politiques ne savent jamais combien de temps ils resteront incarcérés. Tous risquent de voir leur détention prolongée par de nouvelles accusations inopinées.

Surnommée "recyclage" ou "rotation" par les militants politiques et défenseurs des droits humains, cette pratique permet de maintenir derrière les verrous des détenus, même s'ils ont obtenu leur libération dans d'autres dossiers.

Selon plusieurs ONG, l'Egypte compte environ 60.000 détenus politiques de tous genres dont des islamistes, opposants politiques, universitaires, journalistes, avocats ou artistes.

Solafa Magdy, une journaliste de 33 ans, et son mari Hossam El-Sayed, photojournaliste, ont été arrêtés en novembre 2019 dans un café au Caire en même temps qu'un de leurs amis. Tous trois ont été accusés d'avoir rejoint un groupe terroriste et publié de fausses informations.

Selon la loi égyptienne, les détentions avant procès peuvent durer jusqu'à deux ans.

Or, en août 2020, Mme Magdy a écopé d'une nouvelle accusation la maintenant en prison: mauvais usage des réseaux sociaux, alors qu'elle se trouvait en prison... sans accès à un téléphone.

"Mesure punitive"

"C'est une parodie de justice", estime sa mère Taghred Zahran.

"Je veux que ce cauchemar cesse. Nous voulons nous réveiller et vivre nos vies. Ce que nous vivons est irréel", confie-t-elle à l'AFP en retenant ses larmes.

Plus tôt ce mois-ci, Amnesty International a assuré que Mme Magdy avait subi un examen gynécologique qui s'est traduit par un saignement important. Elle a également été fouillée au corps et battue par des gardiens.

"Comment se fait-il qu'une mère entre en prison alors que son fils a sept ans, et lorsqu'elle est censée être libérée il sera adolescent? Ca me brise le coeur pour elle", dit Mme Zahran.

Pour Mai El-Sadany, directrice juridique au Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP), cercle de réflexion basé à Washington, les prolongations de détentions, sont le fait des services de sécurité qui l'utilisent comme "mesure punitive" pour réduire au silence les dissidents depuis l'arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi en 2014.

"Un détenu qui pourrait normalement espérer être libéré ou dont l'examen du dossier pourrait commencer après deux ans, peut désormais écoper de nouvelles accusations sans restriction... il n'y a pas de fin en vue", déplore-t-elle.

Mme Sadany s'inquiète aussi de l'absence de recours pour les détenus confrontés à cette nouvelle pratique.

"C'est devenu +normal+ pour les prévenus d'être détenus lorsqu'ils sont arrêtés au lieu d'être laissés libres en attendant le procès. C'est devenu +normal+ pour les avocats de se voir refuser l'accès aux dossiers. C'est devenu +normal+ pour les détentions d'être renouvelées automatiquement", souligne-t-elle.

Sollicités par l'AFP pour commenter ce sujet, ni le bureau du procureur général, ni l'administration pénitentiaire, n'étaient joignables.

"Années gâchées"

Lors d'une visite en prison ce mois-ci à Abdelrahman Tarek, 26 ans, sa famille l'a trouvé épuisé.

Le jeune homme venait de mettre fin à une grève de la faim de 53 jours. Il protestait contre les transferts constants qu'il subissait entre la prison de Tora (sud du Caire) et un commissariat du centre.

"Lorsque je l'ai vu en prison, son état était épouvantable mais il était déterminé à continuer car il disait que ce qu'il lui arrivait était injuste et il ne pouvait plus vivre comme ça. Il disait qu'il préférait mourir", rapporte à l'AFP un membre de la famille de M. Tarek, sous couvert d'anonymat.

A deux reprises en 2020, le jeune homme a écopé de nouvelles accusations alors qu'il devait être libéré dans des dossiers précédents.

En octobre dernier, il a ainsi été accusé d'avoir publié de fausses informations au sujet de la pandémie de coronavirus et d'avoir rejoint un groupe terroriste. Des accusations qualifiées de "fallacieuses" par Amnesty.

En outre, selon le membre de sa famille, M. Tarek a dit avoir été pendu au plafond de sa cellule, avoir eu les parties génitales électrocutées et avoir été placé à l'isolation dans une cellule étouffante sans ventilation.

Au total, le jeune militant politique a passé six ans en prison dans plusieurs dossiers. "Ses meilleures années sont gâchées en prison injustement", estime la même source.

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