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Le projet d'accord UE-Turquie sur les migrants, beaucoup d'espoir et de sérieux doutes


Le Premier ministre grec Alexis Tsipras, à droite, marche avec la chancelière allemande Angela Merkel, au centre, en partant du sommet européen à Bruxelles, le 8 mars 2016. (AP Photo/Virginia Mayo)
Le Premier ministre grec Alexis Tsipras, à droite, marche avec la chancelière allemande Angela Merkel, au centre, en partant du sommet européen à Bruxelles, le 8 mars 2016. (AP Photo/Virginia Mayo)

L'accord UE-Turquie, ébauché lundi à Bruxelles sous la forte impulsion d'Angela Merkel, est censé offrir enfin une réponse à l'afflux chaotique de migrants vers l'Europe. Mais l'idée de renvoyer tous les arrivants en Grèce vers la Turquie, y compris les Syriens, suscite de sérieux doutes.

Pourquoi cet accord "changerait la donne"?

L'expression a été utilisée par plusieurs responsables européens au sujet de l'accord ébauché lundi pour stopper définitivement les flux. Son point clé est l'engagement d'Ankara à reprendre tous les migrants traversant la mer Egée depuis ses côtes, y compris les demandeurs d'asile comme les Syriens. Cela va "briser le +business model+ des passeurs", sauver des vies et "soulager une partie de la pression sur la Grèce", s'est réjouie la Commission européenne.

En contrepartie, pour chaque demandeur d'asile ainsi renvoyé vers la Turquie, les Européens s'engageraient à "réinstaller" un réfugié dans l'UE depuis la Turquie : c'est le principe du "un pour un". Le message est clair: les migrants économiques seront tous renvoyés, et les demandeurs d'asile doivent déposer leur requête depuis la Turquie pour espérer un accueil dans l'UE.

Mais comment les pays européens pourraient-ils s'engager dans cette voie alors qu'ils se déchirent pour enfin appliquer la répartition de 160.000 réfugiés depuis l'Italie et la Grèce?

Les "réinstallations" n'impliquent pas de nouvel engagement dans l'immédiat, plaident les promoteurs du plan. Elles seraient décomptées d'un engagement datant de juillet 2015 de répartir 22.000 réfugiés dans l'UE à partir de pays tiers (seulement 3.000 l'ont été) et d'un contingent de 54.000 places pas encore allouées du plan de 160.000 "relocalisations".

Le renvoi de Syriens est-il légal?

La Commission martèle que l'accord respectera toutes les normes internationales liées aux réfugiés, mais plusieurs Etats membres ont exprimé leurs doutes sur la légalité du dispositif, craignant des contestations devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

Le haut-commissaire aux réfugiés de l'ONU, Filippo Grandi, s'est dit mardi "profondément préoccupé par tout arrangement qui impliquerait le retour indiscriminé de gens d'un pays à un autre et ne détaillerait pas les garanties de protection des réfugiés en vertu du droit international".

"L'expulsion collective d'étrangers est interdite par la convention européenne des droits de l'Homme", a souligné de son côté le coordinateur régional du HCR en Europe, Vincent Cochetel.

Pour Amnesty International, l'accord "signe l'arrêt de mort du droit d'asile en Europe".

Sarah Crowe, porte-parole de l'Unicef, a elle rappelé "que les enfants constituent quelque 40%" des migrants arrivant en Grèce, appelant les décideurs "à leurs responsabilités et à leurs obligations d'assurer aux enfants fuyant la guerre un accès sûr et légal aux mesures appropriées telles que la réunion avec les familles".

Quels enjeux pour les Turcs?

Depuis le début du conflit syrien, la Turquie reproche aux Occidentaux, et notamment à l'UE, de fermer leurs portes aux réfugiés et rappelle en comparaison l'importance de sa propre contribution: 2,7 millions de Syriens sur le sol turc, 10 milliards de dollars dépensés selon ses dernières estimations.

La proposition sortie du chapeau turc vise à contraindre les Européens à prendre leur part du fardeau, en acceptant des réinstallations de réfugiés depuis la Turquie et en sollicitant le doublement de l'aide promise par l'UE (de 3 à 6 milliards d'euros).

Loin du drame des migrants, la volonté du gouvernement islamo-conservateur turc d'obtenir la levée des visas imposées par les pays de l'espace Schengen à ses citoyens dissimule des préoccupations plus politiques.

Selon l'opposition turque et de nombreux analystes, son entrée en vigueur souhaitée dès le mois de juin pourrait même en faire un argument électoral en cas d'élections législatives anticipées. Un scénario, de plus en plus évoqué, par lequel le régime espère obtenir la majorité qualifiée nécessaire à la présidentialisation de la Constitution souhaitée par le chef de l'Etat Recep Tayyip Erdogan.

Angela Merkel a-t-elle marqué des points?

La chancelière allemande peut être satisfaite des nouvelles propositions turques présentées Bruxelles, dont beaucoup de journaux allemands suggèrent qu'elles ont été préparées en concertation avec Berlin (le quotidien Bild parle même d'un "Plan Merkel").

Ces promesses semblent valider la voie choisie par Mme Merkel qui a fait de la collaboration avec Ankara l'une des clés de sa stratégie pour stopper l'afflux de réfugiés en Europe. Ce signe positif arrive à point nommé pour la chancelière, sous la menace d'un échec lors de trois scrutins régionaux importants le week-end prochain et d'un essor du vote populiste, notamment en raison de sa politique jugée trop libérale sur le dossier des réfugiés.

Si la "percée" évoquée par certains se confirme, ce "serait un succès aussi tardif qu'important" pour Mme Merkel, souligne le quotidien Die Welt. Mais, en Allemagne, les commentateurs pointent aussi les risques d'un partenariat aussi étroit avec le président Erdogan, dont la dérive autoritaire est critiquée de toutes parts.

Avec AFP

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