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Le mbolé, chant funèbre devenu hymne brûlant de la jeunesse camerounaise


Le mbolé offre à la jeunesse camerounaise un exutoire et un moyen de raconter sa réalité.
Le mbolé offre à la jeunesse camerounaise un exutoire et un moyen de raconter sa réalité.

À l'origine, le mbolé se jouait dans les veillées funèbres où les chanteurs improvisaient pour les assemblées endeuillées, mais aujourd'hui, la jeunesse camerounaise s'est approprié le genre musical en l'enrichissant, avec notamment l'utilisation du djembé.

Des veillées funèbres aux studios d'enregistrement, le mbolé, un genre musical camerounais issu des quartiers populaires de Yaoundé, trace son itinéraire singulier et tisse sa toile dans le paysage culturel, offrant à la jeunesse un exutoire et un moyen de raconter sa réalité.

A Nkoldongo, quartier pauvre de la capitale et berceau du mbolé, Lionel Malongo Belinga, alias Petit Malo, est comme chez lui. Aux abords du carrefour Iptec, où le bétail se mêle à la circulation aux heures de pointe, l'artiste a l'assurance des pionniers: le trentenaire est l'un des ambassadeurs d'un genre musical qui a émergé au début des années 2000 avant d'exploser en 2016.

Aux origines, il se joue dans les veillées funèbres pour réconforter les assemblées endeuillées. Le principe est simple: "On s'invite, on forme un cercle et on commence à jouer pour divertir les gens", résume Etienne Koumato, dit Zoumé Premier, membre du groupe League des premiers.

Traditionnellement, un groupe se compose d'animateurs improvisant des textes et de "répondants" qui battent la mesure à l'aide de leurs mains ou d'ustensiles en tout genre, casseroles, seaux et autres. Deux, puis trois claquements rapides en guise de base rythmique, les répondants impriment le tempo et reprennent les chants.

En 20 ans, les sonorités du mbolé ont été enrichies avec des instruments comme le piano et surtout le djembé, devenu sa percussion de prédilection. Les groupes amateurs s'invitent peu à peu dans d'autres cérémonies, mariages ou baptêmes, raconte Etienne Koumato, casquette vissée sur la tête et chemise blanche ouverte dans la chaleur étouffante de l'après-midi.

"Au début, le mbolé était stigmatisé et on y voyait une musique de voyous, comme le rap. Mais l'habit ne fait pas le moine, on s'est adapté pour faire évoluer les mentalités", assure l'étudiant en biologie de 24 ans, qui compte désormais sur l'aide d'un label.

"100% camerounais"

Les spécialistes louent une musique "100% camerounaise" inspirée de la culture locale. "On a eu l'afro-beat qui venait du Nigeria, mais quand vous écoutez du mbolé, vous entendez toutes les sonorités du Cameroun: le bend skin, le makossa, le bikutsi", des musiques traditionnelles du pays, égrène Yannick Mindja, réalisateur d'un documentaire sur l'histoire du genre, "le Mbolé du Kwatta".

Un creuset d'influences revendiqué par les artistes. "Le mbolé est le petit-fils du bikutsi, le neveu du makossa", énumère ainsi Petit Malo. Mais il en fait la synthèse, et "quand on l'écoute, on se sent juste Camerounais", souligne-t-il.

Désormais, "aucune télévision ni radio ne boude le mbolé", s'enthousiasme Yannick Mindja. Le groupe français Trace TV, spécialisé dans les musiques urbaines et qui diffuse dans 160 pays, a lancé récemment une chaîne au Cameroun, Trace Mboa, passant régulièrement du mbolé.

Mais plus de 20 ans après ses débuts, ce genre demeure "encore très masculin", fait remarquer Jeanne Manga, alias Jay-Ni, qui a fondé un groupe exclusivement féminin. Elle dit y trouver un moyen de dénoncer certains comportements sexistes notamment. "Dans mes textes, je parle par exemple des hommes qui invitent des femmes et demandent ensuite des faveurs sexuelles. Nous ne sommes pas acquises et le mbolé nous permet de le dire", assène la jeune femme de 29 ans.

Conditions de vie, précarité, drogue... Les artistes dépeignent un quotidien cru et une réalité sans fard.

"Kwatta"

Pour en saisir la substance, il faut quitter les artères principales de Nkoldongo et s'enfoncer dans les ruelles étroites cernées de bicoques précaires aux murs d'argile courbés. Cet environnement a inspiré la première chanson studio de Petit Malo, "Dans mon kwatta" (dans mon quartier, ndlr), en 2016, que l'artiste voit comme "une peinture de Nkoldongo".

Les eaux usées dessinent un sillon qui serpente dans la terre ocre de ces faubourgs où des femmes, assises de part et d'autre de la ruelle, lavent énergiquement le linge qu'elles étendent ensuite sur les fils qui courent le long des venelles. Plusieurs paires de souliers soigneusement alignés marquent l'entrée des habitations, avec souvent de modestes pièces de tissu en guise de porte.

"Mbolé, mbolé!", lancent des enfants au passage de Petit Malo et sa troupe, tandis que la fierté locale salue les habitantes qui l'interpellent. A peine les mains des musiciens heurtent le cuir tanné des djembé sur le terrain de football que tout le voisinage afflue d'un même pas. "Petit Malo chante bien, je me retrouve dans ses paroles, il y a un message de paix, d'espoir et beaucoup de belles choses", s'enthousiasme Herman Sone, 15 ans, les yeux rivés sur son idole.

Les artistes partagent un désir commun pour l'avenir, bénéficier de plus de moyens pour exercer leur passion. "Pourquoi pas des salles ou des équipements... s'il faut énumérer nos problèmes, il y en a pour longtemps", lâche Etienne Koumato dans un sourire.

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