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La transition au Soudan toujours dans l'impasse


Des manifestants pro-militaires soudanais écoutent le sermon de la prière du vendredi, en présence du ministre des Finances, devant le palais présidentiel à Khartoum, le 22 octobre 2021.
Des manifestants pro-militaires soudanais écoutent le sermon de la prière du vendredi, en présence du ministre des Finances, devant le palais présidentiel à Khartoum, le 22 octobre 2021.

Au Soudan, les manifestations monstres en faveur d'un gouvernement civil ont redit vouloir en finir avec le partage du pouvoir avec l'armée, mais elles n'auront qu'un impact limité sur une transition engluée dans les luttes de pouvoir, assurent des experts.

"Ces manifestations montrent un rejet clair du scénario d'un pouvoir militaire", affirme à l'AFP l'analyste soudanais Othman Mirghani, dans un pays qui en 65 ans d'indépendance n'a connu que peu d'années de gouvernement démocratique, de coups d'Etat en coups de forces islamistes.

En prenant les rues jeudi sous une nuée de drapeaux soudanais au cri de "révolution", les manifestants ont "insisté sur le fait que la transition vers un pouvoir uniquement civil restait le but ultime" d'un pays qui s'est débarrassé en 2019 du dictateur Omar el-Béchir, explique M. Mirghani.

Mais "en dépit de leur nombre, les manifestants n'auront que peu d'impact sur la réalité politique", nuance-t-il aussitôt.

Cette réalité politique, c'est celle des divisions qui vont grandissantes. Non seulement entre civils et militaires, mais aussi au sein du camp civil lui-même.

- Divisions internes -

Ainsi, jeudi, au milieu d'un cortège réclamant la remise du pouvoir aux civils, le ministre de l'Industrie Ibrahim al-Sheikh s'époumonait avec la foule, faisait de grands signes de la victoire.

Vendredi, le ministre des Finances Jibril Ibrahim est venu prier avec les pro-armée qui campent depuis une semaine aux portes du palais présidentiel pour réclamer la chute du gouvernement et donner un "mandat" aux militaires pour sortir le Soudan du marasme.

Ces deux hommes sont l'incarnation des lignes de faille de la transition. Le premier se réclame toujours du canal historique des Forces de la liberté et du changement (FLC), l'un des fers de lance de la révolte de 2019, tandis que le second a fait sécession, mais continue de revendiquer le titre de FLC.

Et au-delà de leurs divisions, les nouvelles autorités de transition --le Conseil de souveraineté formé de civils et de militaires et le gouvernement-- ne cessent de perdre en popularité dans un pays qui tente de se relever de 30 ans de dictature, entre inflation galopante et taux de pauvreté parmi les plus élevés au monde.

Forcé à l'austérité par le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir l'effacement de la dette de son pays et incapable de rendre justice aux familles des victimes du régime Béchir et de la répression de 2019, c'est le gouvernement d'Abdallah Hamdok, un ancien économiste de l'ONU, qui est dans le viseur.

Il n'a pas non plus, rappellent les manifestants, créé le Conseil législatif promis en 2019, qui devait être la première étape de la transition, avant un retrait des militaires puis des élections générales, aujourd'hui fixées à fin 2023.

- "Militaires déterminés" -

"M. Hamdok et les FLC ne sont pas parvenus à satisfaire les revendications des Soudanais", affirme M. Mirghani.

Et face aux pro-armée qui, en sit-in depuis sept jours, réclament la chute du gouvernement Hamdok, "les manifestants de jeudi" pro-pouvoir civil "ne l'ont pas particulièrement soutenu et simplement rappelé les objectifs de la révolution" de 2019, décrypte le spécialiste.

"Les divisions des FLC qui sapent leur capacité de gouvernance rendent la tâche facile à l'armée et à la faction séditieuse des FLC", affirme Jonas Horner, chercheur d'International Crisis Group. "Ils peuvent arguer de ses faibles performances pour réclamer le limogeage du gouvernement", ajoute-t-il.

Peu soutenu et profondément divisé, le camp civil au sein des autorités de transition laisse le champ libre aux militaires, qui continuent de dominer la politique comme l'économie.

Dans la rue, en nombre bien plus important que les pro-armée, les pro-civils ont conspué le général Abdel Fattah al-Burhane, à la tête du Conseil de souveraineté. Mais celui-ci est toujours bien aux commandes.

A l'issue de la journée de mobilisation de jeudi, il a reçu le patron de la mission de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, pour discuter de l'avenir du pays. Mercredi, le président français Emmanuel Macron lui avait adressé une invitation à un sommet sur la Libye mi-novembre.

"Les militaires sont déterminés à ne pas perdre de leur pouvoir politique et économique", conclut M. Horner, qui estime que malgré tout, "l'opposition populaire peut continuer à les garder à distance".

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