Liens d'accessibilité

Dernières nouvelles

La migration vers l'Europe, coûte que coûte, malgré les dangers


Des migrants sont assis, surveillés par la police espagnole, dans l'enclave de Ceuta, le 17 février 2017.
Des migrants sont assis, surveillés par la police espagnole, dans l'enclave de Ceuta, le 17 février 2017.

Cette année, entre le 1er janvier et le 24 mai, plus de 60.000 personnes sont arrivées en Europe par la mer, selon l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM).

Uche est arrivé du sud jusqu'à la grande ville de Kano, dans l'extrême nord du Nigeria, dans des minibus bondés et par une route truffée de nids de poule. Voilà quatre jours qu'il attend. Et son périple vers l'Europe n'a pas encore commencé.

Son chemin est déjà tout tracé: Agadez au Niger, la ville carrefour aux portes du Sahara, puis un camion l'emmènera à Sabha, dans le sud-ouest de la Libye. De là, il rejoindra Tripoli, puis l'Italie ou l'Espagne.

Si tout se passe bien. Mais à peine est-il parti, que les ennuis commencent. Le passeur qui devait lui faire traverser la frontière poreuse vers le Niger a été arrêté.

"Sa maison est sous surveillance", raconte Uche, électricien dans son ancienne vie. En attendant, il est bloqué à Kano, dans le quartier chrétien de la ville, où il a retrouvé un ami pour l'héberger.

Uche, petit homme trapu dans un jean délavé par le temps et des tennis blanches, ne se laisse pas décourager par ce premier contre-temps. Il est déterminé à continuer sa route.

"Je vais traîner dans le coin et trouver quelqu'un d'autre qui pourra m'emmener à Agadez", explique le jeune homme à l'AFP.

Sabon Gari est le quartier chrétien de Kano, capitale millénaire de l'islam. Il est connu pour ses marchés, ses immeubles surpeuplés, ses bars où la bière coule à flots et pour ses maisons closes.

Ces dernières années, Sabon Gari est aussi devenu la cible de la police contre les passeurs. Depuis Kano, l'Europe est dangereusement proche.

L'an dernier, près de 193.000 migrants ont rejoint les côtes italiennes, grecques, chypriotes ou espagnoles. Les départs de la Syrie ne sont plus aussi fréquents, les accords avec la Turquie ayant bloqué les flux.

Mais la route maritime entre l'Afrique du Nord et le Sud de l'Europe, elle, ne désemplit pas. Plus de 41.000 personnes sont arrivées d'Afrique, en empruntant le chemin de la Libye pour regagner l'Italie sur des bateaux de fortune (contre un peu moins de 27.000 l'année dernière).

Le nombre de morts a lui aussi tragiquement augmenté. Plus de 982 personnes sont mortes de janvier à mai l'année dernière. 1.442 déjà pour ce début d'année 2017. Et ce ne sont que les corps qui ont été retrouvés.

Pression européenne

Les migrations africaines vers l'Europe ne sont pas nouvelles et représentent une part infime des migrations mondiales: plus de 90% d'entre eux restent sur le continent.

Les dirigeants ont longtemps gardé les yeux fermés sur ce phénomène, qui représente une importante source de revenus pour le continent africain, grâce à l'argent envoyé aux familles restées sur place qui se compte en milliards de dollars.

Mais la pression monte du côté de l'Europe, où l'électorat se sent assiégé.

L'Union Européenne a d'ailleurs engagé un fonds de 1,8 milliard d'euros pour les projets de développement dans les pays qui s'engagent fermement à lutter contre les départs.

Des pourparlers sont en cours avec les représentants des ethnies nomades qui contrôlent les routes sahéliennes, des centres de rétentions supplémentaires ont été érigés sur la route, ainsi des centres d'accueil pour les personnes rapatriées.

Le Nigeria, premier pays de départ en Afrique, a mis en place une politique contre l'émigration illégale. Le Niger condamne désormais à 30 ans de prison les passeurs de migrants et sa police mène régulièrement des raids dans les "ghettos", ces maisons où sont rassemblés les candidats au départ avant de poursuivre leur route.

Richard Danziger, directeur de l'OIM pour l'Afrique de l'Ouest et Centrale, note "un changement d'attitude important et un tournant dans les politiques" des gouvernements africains.

"Il a aussi une vraie prise de conscience que le coût humain, les morts dans la Méditerranée ou dans le désert, ce n'est plus acceptable", ajoute M. Danziger.

En collaboration avec les pays d'origine, l'OIM accélère les rapatriements volontaires de personnes bloquées en Libye. Beaucoup sont épuisées, parfois blessées ou gravement traumatisées. Mais beaucoup aussi ne pensent qu'à repartir.

Et malgré une réelle prise de conscience, les pays d'Afrique de l'Ouest disposent de peu de moyens pour mettre en place une législation solide contre les départs.

L'Agence nigériane de la prohibition de la traite humaine (NAPTIP) manque de personnel et d'argent. Dans un pays secoué par les conflits, où l'indice de santé est au plus bas, où les écoles n'ont pas assez de professeurs, les priorités sont ailleurs.

Le système de surveillance, gangréné par une corruption généralisée, n'aide pas non plus à lutter contre le trafic. Certains convois de camions partent sous escortes de l'armée, sur les check-points le long des routes, les soldats sous payés se servent en commissions et pots-de-vin à chaque passage.

En Libye, il n'y a plus aucun Etat de droit depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. L'ancien dirigeant acceptait d'être la dernière forteresse avant l'Europe en échange de grandes sommes d'argent. Aujourd'hui, les anciens agents de police se sont convertis en capitaine de bateaux de fortune.

Système criminel

L'année dernière, plus de 37.000 Nigérians sont arrivés en Italie et en Grèce de manière illégale: c'est quasiment trois fois plus que le second pays de départ, la Guinée.

Comme Uche, ils fuient une économie en pleine récession due à la chute des prix du pétrole (le Nigeria est le premier producteur du continent), ils fuient l'inflation, le chômage, la pauvreté de masse et le manque d'infrastructures.

"La vie ici est difficile à cause de la crise économique et je pense que je pourrais avoir de meilleures opportunités et une vie meilleure en Europe", confie Uche.

Europol, l'Office européen de police, avoue que l'immigration clandestine a peu de chance de s'arrêter face aux conflits et aux inégalités entre le Nord et le Sud.

Mais elle nourrit également un système criminel, qui aurait rapporté jusqu'à 6 milliards de dollars aux réseaux, selon Europol.

Ahmad, un jeune Nigérian, était conducteur de camion sur la route d'Agadez jusqu'à Sabha, transportant à chaque voyage une trentaine de Nigérians, Maliens, Togolais ou Ivoiriens.

Le camion faisait cette traversée de 9 jours, deux fois par mois. Chaque passager devait payer 50.000 nairas (environ 150 euros), près de trois fois le salaire minimum au Nigeria.

"J'ai bien gagné ma vie", admet-il. "J'ai construit une maison, et j'ai acheté d'autres biens. Mais maintenant les choses ont changé, les autorités sont sur notre dos."

Des patrouilles aériennes quadrillent le désert, explique Ahmad, qui ne comprend pas en quoi ce travail est condamnable. "On fait juste ce qu'ils nous demandent: les transporter", affirme-t-il.

Les études menées sur les routes à travers le Sahara et le Sahel notent toutefois que les "passeurs" sont souvent impliqués aussi dans les trafics de drogues et d'armes.

Sans autre source de revenus et gangrénés par les cartels, ces régions qui sont déjà les plus pauvres au monde, pourraient basculer dans l'extrémisme religieux. La pauvreté et le manque d'éducation est un des facteurs majeurs du recrutement des groupes tels que Boko Haram et Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), très actifs dans la bande sahélienne.

Au-delà de la répression, Fabrice Leggeri, directeur de l'agence de surveillance des frontières européennes, Frontex, pense qu'il encourager les messages de prévention.

"Je crois que le message qu'il faut faire passer dans tous les pays où il y a les candidats à l'émigration vers l'Europe, c'est que c'est un mensonge. Ce n'est pas l'Eldorado que les trafiquants décrivent".

Un message que Uche ne veut pourtant pas entendre. "Les gens n'arrêtent pas de dire que la route est dangereuse mais je suis prêt à tenter ma chance", assure-t-il. "Beaucoup ont réussi, pourquoi pas moi? Il faut savoir prendre des risques dans la vie".

Avec AFP

XS
SM
MD
LG