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La CEDH condamne la France pour son traitement d'un mineur isolé à Calais


Les forces de l’ordre ont lancé du gaz lacrymogène lors d’une manifestation de soutien aux migrants à Calais, la France, 21 janvier 2016.
Les forces de l’ordre ont lancé du gaz lacrymogène lors d’une manifestation de soutien aux migrants à Calais, la France, 21 janvier 2016.

Manque d'eau, de nourriture, abri insalubre, exposition aux violences sexuelles : la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné jeudi la France pour avoir abandonné à son sort un Afghan de 12 ans lorsqu'il vivait sur le camp de "la lande" de Calais (nord) en 2016.

L'enfant, parti d'Afghanistan un an plus tôt, a "vécu durant plusieurs mois dans le bidonville (...) dans un environnement totalement inadapté à sa condition d’enfant et dans une précarité inacceptable au regard de son jeune âge", a spécifié la CEDH, condamnant la France pour "traitement dégradant".

Le Défenseur français des droits, Jacques Toubon, a souligné "le caractère majeur" de cet arrêt de la CEDH. L’Etat doit prendre "la mesure de cette condamnation sévère pour assurer le respect effectif des droits fondamentaux de tous les enfants présents sur le territoire français", a-t-il poursuivi.

Dans leur arrêt, les juges dressent un portrait cauchemardesque des conditions de vie dans la "Jungle", nom officieux de ce campement de bric et de broc, au nord-est de Calais, qui a accueilli jusqu'à 10.000 migrants désireux d'entrer au Royaume-Uni avant d'être démantelé.

Accès limité aux soins et à l'eau potable, conditions d'hygiène déplorables, manque de nourriture, promiscuité... Dans ce contexte, "les mineurs isolés étrangers se trouvaient de surcroît exposés à divers dangers, dont celui de subir des violences physiques et sexuelles", souligne la Cour.

Rencontré lors d'une maraude en février 2016, J. "vivait à plusieurs dans une tente de fortune avec un accès très compliqué à l'hygiène et une grande insécurité", a raconté à l'AFP Solenne Lecomte, coprésidente de l'association La Cabane juridique à Calais, qui a accompagné le jeune migrant dans ses démarches auprès de la Cour de Strasbourg.

Alors que la zone sud du campement était évacuée par les autorités, la tente du jeune homme a été détruite.

Un juge des enfants avait ordonné sa mise à l'abri et J. s'était déclaré "favorable" à cette solution, note la CEDH.

Mais cette décision n'a pas été exécutée et, quelques semaines plus tard, le jeune homme a définitivement quitté la France pour entrer clandestinement au Royaume-Uni où il a été recueilli par les services britanniques de l’aide à l’enfance.

Celle-ci "estime que ces circonstances particulièrement graves et l’inexécution de l’ordonnance du juge des enfants (...) constituent une violation des obligations pesant" sur la France.

- "Encore aujourd'hui" -

À Calais, "les autorités compétentes n’avaient pas même identifié le requérant comme tel, alors qu’il se trouvait sur le site depuis plusieurs mois et que son jeune âge aurait dû particulièrement attirer leur attention", déplorent encore les juges européens, estimant que "les moyens mis en œuvre pour identifier" les mineurs isolés étrangers étaient "insuffisants".

"Avec cet arrêt, on pourra forcer un peu plus les autorités françaises à faire davantage pour les personnes vulnérables en situation d'exil", a estimé Me Lionel Crusoé, coreprésentant de J. auprès de la CEDH.

Car au-delà de ce cas précis, c'est l'obligation de prise en charge des mineurs isolés étrangers, "individu(s) relevant de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société", qui est rappelée par la CEDH à la France et plus généralement à l'Europe.

La cour a d'ailleurs également condamné jeudi la Grèce pour des traitements dégradants infligés à neuf migrants mineurs non accompagnés, détenus dans des postes de police pendant plusieurs dizaines de jours en 2016.

Le même jour, une vingtaine d'associations, emmenées par l'Unicef, ont saisi le Conseil d'Etat français contre le très controversé fichier des mineurs isolés étrangers, qu'elles accusent de servir la lutte contre l'immigration irrégulière au détriment de la protection de l'enfance.

"La France viole le droit tous les jours en matière d'accueil des étrangers", a accusé auprès de l'AFP François Guennoc, de l'Auberge des Migrants à Calais.

"C'est une victoire pour J., mais aussi pour les autres personnes qui continuent d'être quotidiennement expulsées", s'est réjouie Solenne Lecomte.

Selon Claire Millot, secrétaire générale de l'association Salam, "500 à 600" migrants sont toujours présents à Calais.

"Le problème existe encore aujourd'hui, avec un nombre important de mineurs non accompagnés qui dorment dehors", dénonce Didier Degrémont, président départemental du Secours catholique dans le Pas-de-Calais.

Depuis le démantèlement de la "Jungle" en 2016, les autorités françaises s'emploient à empêcher sa reconstitution et à décourager les tentatives, régulières, de passage en Grande-Bretagne.

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