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L'effet papillon : meurtre en Inde, violences à Kinshasa


Manifestations à Kinshasa, RDC, 19 janvier 2015.
Manifestations à Kinshasa, RDC, 19 janvier 2015.

Un crime passionnel à Hyderabad et c'est un quartier de Kinshasa qui se retourne contre ses commerçants indiens. Malgré la distance, plus de 7000 km, ce fait divers a mis le feu aux poudres dans une capitale congolaise à la population exaspérée par sa misère.

Jeudi matin au rond-point Ngaba, dans un des quartiers les plus déshérités de la ville, une vingtaine de policiers sont déployés. Plus tôt, tous les magasins tenus par des commerçants indiens sur cette place bouillonnante avaient fermé leurs portes métalliques en hâte après l'attaque de plusieurs groupes de jeunes.

Les assaillants ont jeté des pierres sur plusieurs boutiques et voulaient attraper des Indiens pour les lyncher, témoignent plusieurs habitants. Sans avoir participé aux violences, ceux-ci les jugent parfaitement légitimes.

"On veut venger notre soeur" Cynthia Vechel, explique Rodrigue, marchand ambulant.

La nouvelle de la mort de cette Congolaise, donnée mercredi par plusieurs journaux indiens, s'est répandue dans Kinshasa grâce aux réseaux sociaux. Selon la presse indienne, elle a été tuée à Hyderabad (sud de l'Inde) par son mari indien qui la soupçonnait d'adultère et qui a ensuite découpé son corps pour le faire disparaître.

Fin mai déjà, le meurtre d'un jeune professeur congolais par trois Indiens à New Delhi avait échauffé les esprits à Kinshasa, mégapole de 10 millions d'habitants. Les autorités avaient dû exhorter la population à ne pas se faire justice elle-même en s'en prenant aux Indiens, qui tiennent une bonne part de la distribution kinoise, notamment pour l'électroménager, l'habillement, et les cosmétiques.

Aux Grand Marché de Kinshasa, toutes les boutiques indiennes étaient fermées jeudi. Elles l'étaient encore vendredi.

Ces incidents surviennent alors que le Premier ministre indien Narendra Modi a entamé jeudi au Mozambique une tournée destinée à renforcer l'influence économique de son pays en Afrique.

"Il n'y a pas de casse mais la tension est vive" et, depuis mercredi, les Indiens "ne sortent pas", explique Blanchard Mwadi, employé dans un magasin indien.

Le ressentiment populaire contre les Indiens semble servir d'exutoire à un désenchantement qui ne demande qu'à s'exprimer.

'Le pays est par terre'

"A Beni, on tue les Congolais, en Inde on nous tue... Nous voulons que notre gouvernement nous protège. Trop, c'est trop", lâche M. Mwadi, qui glisse sans qu'on le lui demande sur la situation dans l'Est de la République démocratique du Congo, dans la région de Beni, où plus de 600 civils ont péri dans une série incessante de massacres depuis octobre 2014.

"Toute la faute revient au gouvernement [...] ce gouvernement ne se soucie pas de la vie sociale du Congolais : manger, boire, étudier", dit David, technicien cinquantenaire.

"S'ils veulent rester longtemps au pouvoir, il faut que le peuple se retrouve dans ce qu'ils font, or ce n'est pas le cas : vie sociale par terre, inflation galopante, budget national réduit, c'est grave ! Le pays est par terre", avertit David, dans un climat de crise politique qui se renforce à mesure qu'approche le terme du mandat du président Joseph Kabila, fixé au 20 décembre.

M. Kabila n'a jamais été populaire à Kinshasa. Lors de la présidentielle de 2011 (entachée d'irrégularités massives), il n'avait réuni sur son nom que 30% des suffrages exprimés, soit 16% des inscrits.

Le chef de l'État est au pouvoir depuis 2001 et la Constitution lui interdit de se représenter. Alors que l'opposition accuse M. Kabila de manœuvrer pour se maintenir au pouvoir, un récent arrêt de la Cour constitutionnelle l'a autorisé à rester président si son successeur n'a pas été élu au 20 décembre.

Dans son rapport sur la RDC examiné jeudi au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon indique que la mission onusienne dans le pays "est en train de concevoir des plans d'urgence en cas de violence généralisée dans le contexte du processus électoral".

A Kinshasa, certains estiment que l'explosion pourrait être d'ordre social plutôt que politique. La récente chute du franc congolais face au dollar a ajouté aux difficultés de la population en engendrant une forte inflation.

"Nous craignons que le pays puisse s'embraser", confie Élie Nkunda, commerçant. "Les gens peuvent dire : finissons-en" à tout moment.

"Le pays vit sous tension", prévient Tshungu, jeune musicien, "nos autorités doivent comprendre qu'il y a une pression en sourdine qui finira par éclater un jour, même à partir de rien."

Avec AFP

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