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France: le ministre de la Justice au tribunal pour conflit d'intérêt


Eric Dupond-Moretti, ministre français de la Justice
Eric Dupond-Moretti, ministre français de la Justice

Pour la Ligue des droits de l'Homme, c'est "l’image déplorable d’un monde de décideurs s'estimant au-dessus de la loi commune".

Une première pour un garde des Sceaux en exercice en France: la Cour de justice de la République (CJR) a ordonné lundi un procès contre Eric Dupond-Moretti, accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats à qui il s'était opposé quand il était avocat.

Ses avocats ont immédiatement annoncé se pourvoir en cassation.

"Comme malheureusement nous nous y attendions, c'est un arrêt de renvoi qui a été rendu par la commission de l'instruction. Nous avons immédiatement formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Cet arrêt n'existe plus", ont annoncé Me Christophe Ingrain et Rémi Lorrain à la sortie de la CJR, à Paris, en l'absence du ministre de la Justice.

"Il appartient désormais à l'assemblée plénière de la Cour de cassation de se saisir de ce dossier et de se prononcer notamment sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé ce dossier depuis deux ans au premier rang desquels figure le positionnement atypique puisque déloyal et partial du procureur général près la Cour de cassation", François Molins, a ajouté Me Rémi Lorrain.

Son renvoi ne manquera pas de poser une nouvelle fois la question du maintien au gouvernement de l'ancien pénaliste.

"Nous estimons que sa démission du gouvernement permettrait d'éviter que cette séquence ne nourrisse le sentiment de défiance de l’opinion publique à l’égard de l'ensemble de la classe politique", a estimé l'ONG Transparency International.

Sollicité par l'AFP, le gouvernement a indiqué que M. Dupond-Moretti avait "toute la confiance de la Première ministre" Elisabeth Borne et que "la question de son maintien au gouvernement ne se (posait) pas".

"déplorable"

Pour la Ligue des droits de l'Homme, "une telle mansuétude à son égard renvoie l’image déplorable d’un monde de décideurs s'estimant au-dessus de la loi commune et faisant fi d’une justice égale pour toutes et tous".

"La procédure est en cours, le garde des Sceaux a exercé un recours comme c’est son droit", a-t-on affirmé au gouvernement. "Le dispositif de déport a été organisé de manière à ce que cela n'affecte en aucune manière l'exercice de sa mission de ministre de la Justice".

Il avait été officiellement écarté de toutes les affaires en lien avec ses anciennes activités d'avocat, en vertu d'un décret de "déport" paru en octobre 2020.

Arrivés à neuf heures à la CJR, dont la formation de jugement est seule habilitée à juger les membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l'exercice de leur mandat, les deux avocats en sont ressortis trente minutes plus tard, après s'être faits signifier le renvoi pour "prises illégales d'intérêts" d'Eric Dupond-Moretti.

L'ancien ténor du barreau, nommé à la tête de la Chancellerie à l'été 2020 et reconduit à ce poste après la réélection en mai d'Emmanuel Macron, a été inculpé par la CJR en juillet 2021.

Eric Dupond-Moretti est accusé d'avoir profité de sa fonction, une fois à la tête du ministère de la Justice, pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu'il était avocat, ce qu'il conteste.

Un premier dossier concerne l'enquête administrative qu'il a ordonnée en septembre 2020, visant trois magistrats du Parquet national financier (PNF).

Ces magistrats avaient fait éplucher ses factures téléphoniques détaillées quand M. Dupond-Moretti était encore une star du barreau, dans le but de débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy qu'il était sur écoutes dans l'affaire de corruption dite "Paul Bismuth".

Dans un second dossier, il est reproché au garde des Sceaux d'avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients quand il était avocat.

Le CSM a décidé le 15 septembre de ne pas sanctionner M. Levrault, estimant qu'"aucun manquement disciplinaire ne saurait lui être reproché". Une décision qui a sonné comme un désaveu du ministre.

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