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Ethiopie: au Tigré, la colère enfle à l'égard d'Abiy Ahmed


Abiy Ahmed au parlement à Addis Abeba, Ethiopie, le 1er juillet 2019.
Abiy Ahmed au parlement à Addis Abeba, Ethiopie, le 1er juillet 2019.

Dans son studio exigu, le chanteur de reggae éthiopien Solomon Yikunoamlak pince les cordes de sa guitare et entonne sa dernière ballade, un appel pressant à l'unité au sein de sa région natale du Tigré, à un moment de grands bouleversements à l'échelon national.

L'exercice est plutôt inhabituel pour un artiste qui s'est fait connaître en composant des chansons d'amour. Mais il espère que celle-ci aura un écho auprès de son public tigréen, dont le ressentiment à l'égard du Premier ministre Abiy Ahmed ne cesse de croître.

Depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018, le dirigeant de 42 ans a rompu avec l'autoritarisme de ces prédécesseurs et modifié les équilibres au sein du pouvoir, marginalisant l'élite tigréenne longtemps accusée d'avoir monopolisé tous les postes d'influence.

"De nos jours, tout le monde devient activiste, tout le monde devient politicien", souffle Solomon Yikunoamlak, en méditant sur les changements survenus ces quinze derniers mois.

Dans la capitale régionale Mekele, les Tigréens estiment que M. Abiy, issu de l'ethnie majoritaire, les Oromo, a fait d'eux les boucs émissaires de tous les maux récents de l'Éthiopie.

Cette rancoeur est apparue avec encore plus d'évidence après la mort fin juin de cinq hauts responsables gouvernementaux et militaires lors d'une tentative de coup d'État contre le gouvernement de la région amhara, voisine du Tigré.

Deux des victimes, dont le chef d'état-major de l'armée éthiopienne Seare Mekonnen, étaient originaires du Tigré, où des milliers de personnes ont honoré leur mémoire, certaines accusant M. Abiy d'être un traître.

- "Frustration énorme" -

"Il y a une frustration énorme ici au Tigré", explique Nebiyu Sehil Mikael, un professeur à l'université de Mekele. "Il y a une nette opposition au gouvernement fédéral".

Mais la colère à l'encontre du Premier ministre existait au Tigré bien avant ces récents événements. Depuis sa nomination, les Tigréens se plaignent d'un gouvernement central hostile, selon eux, à leurs intérêts.

Aors qu'ils ne représentent que 6% d'une population de plus de 100 millions de personnes, les Tigréens ont longtemps disposé d'un pouvoir sans commune mesure avec leur importance numérique.

A l'origine de la chute du brutal régime militaro-marxiste du Derg en 1991, le TPLF (Front de libération des peuples du Tigré) a dominé jusqu'à l'an passé la coalition depuis lors au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF).

Mais les manifestations antigouvernementales des Oromo et Amhara qui ont mené M. Abiy au pouvoir ont eu raison de sa toute puissance. Le TPLF est toujours membre de l'EPRDF, mais il a été écarté de nombreux postes-clés.

Certaines des victimes des purges menées par le chef du gouvernement sont devenues de quasi-héros au Tigré. Zayid Meles, une vendeuse de vêtements, raconte qu'une de ses meilleures ventes est un tee-shirt portant la mention "Je suis Getachew Assefa".

Cet ancien omnipotent chef des services de renseignement du pays avait été limogé par M. Abiy l'an dernier. Sous le coup d'un mandat d'arrêt, il est en fuite et pourrait se cacher au Tigré.

- "Nous sommes menacés" -

Selon Zayid, le tee-shirt, qui dépeint le visage de Getachew masqué par une écharpe, un chapeau et des lunettes de soleil, est une façon de dire à M. Abiy que l'ancien espion ne comparaîtra jamais devant un tribunal. "Tous les Tigréens l'achètent. Getachew est un héros", assure-t-elle.

L'inquiétude des Tigréens quant à leur avenir éclipse toute réflexion critique sur les échecs du TPLF à promouvoir la démocratie et combattre la pauvreté, relève Mahari Yohans, un commentateur politique tigréen reconnu. "La politique du Tigré, c'est la politique de la sécurité. Nous sommes menacés", fait-il valoir.

Les positions sont si polarisées que les Tigréens réfléchissent de plus en plus ouvertement à l'idée de faire sécession, affirme Wondimu Asamnew, un diplomate expérimenté originaire de Mekele. "C'est très triste", regrette-t-il. "Ils ont même commencé à se demander s'ils appartiennent à ce pays."

Même si la sécession reste une perspective fort éloignée, les tensions se reflètent partout, y compris dans le sport. Les supporteurs du club de football local, le Mekele 70 Enderta FC, avaient été choqués en début d'année de voir les supporteurs d'un club rival déchirer un poster de Meles Zenawi, ancien Premier ministre originaire du Tigré.

L'incident avait déclenché des violences entre supporteurs des deux clubs, qui avaient contraint la Fédération éthiopienne de football à suspendre temporairement le championnat.

Le TPLF en a profité pour faire du Mekele FC une cause régionale. Plusieurs de ses responsables ont assisté samedi au sacre du club lors de la dernière journée du Championnat d'Éthiopie.

Mais pour certains toutefois, politiser le football c'est aller trop loin. "Ces soi-disant hommes politiques devraient se concentrer sur la politique", estime un supporteur, Asmelash Nigus. "Ce serait mieux s'ils ne se mêlaient pas de football".

Avec AFP

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